Tenter de répondre aux défis planétaires qui nous font face ! Essayer encore. Avancer. Affronter l’échec et progresser tout de même. Vers où ? La poursuite des objectifs du développement durable, tels que l’Organisation des Nations Unies les a formulés, peut donner un horizon désirable.
S’il est besoin de les rappeler, en voici quelques-uns : lutter contre la pauvreté, la famine, les inégalités, assurer la santé, le bien-être et l’éducation, garantir l’accès à l’eau, aux énergies, enfin rendre les villes et plus largement les établissements humains plus résilients et durables. Ils constituent autant de jalons vers un progrès partagé. Convergentes et tout autant indispensables, les valeurs de la francophonie rassemblent une large communauté linguistique et culturelle autour de la solidarité, du respect de la diversité, des droits de l’homme et de la démocratie… Ensemble, ces objectifs et ces valeurs expriment autant d’aspirations à améliorer les conditions d’existence de chaque personne humaine qui naît dans le monde.
Les villes, des laboratoires d’expérimentation pour agir
Dès lors, notre préoccupation principale ne devrait plus être pourquoi faire mais comment faire, en conscience. Sevrés des grandes déclarations et des sommets mondiaux, nous savons à présent qu’il ne suffira pas d’attendre les résultats de la diplomatie des nations. C’est à l’échelle des villes, par les actions concrètes menées sur tous les terrains d’expérimentation qu’il est possible d’agir, non pas pour réanimer l’expression du chacun pour soi mais à l’inverse pour promouvoir des actions, pour susciter l’innovation et l’inspiration et pour offrir à chacune et chacun autonomie et capabilité.
À l’heure où plus de la moitié de la population mondiale vit en ville, les enjeux présents et futurs appellent à agir… Sur tous les fronts et en particulier sur celui de l’aménagement et de la gestion de nos territoires urbanisés. Sans doute est-ce là ce que nous devons attendre des urbanistes : qu’ils ne déploient pas seulement un savoir théorique et critique mais qu’ils engagent une praxis au service des territoires. Un médecin ne soigne pas grâce à ses discours mais plus certainement grâce à la sûreté de son diagnostic et au traitement pratiqué.
De la même façon, un économiste est plus utile lorsqu’il accompagne des politiques concrètes de lutte contre la pauvreté que lorsqu’il conceptualise des modèles qui la justifient. Les deux économistes Abhijit V. Banerjee et Esther Duflo appelaient dès 2012 à repenser la pauvreté en appuyant leur démonstration à partir de leurs expériences pratiques. Il y a quelques semaines, pour sa leçon inaugurale au Collège de France, la même Esther Duflo rappelait combien il était « utile de penser aux économistes non comme à de purs scientifiques, mais comme à des techniciens, des ingénieurs ou même des plombiers qualifiés ». Car, dès qu’il est question d’application sur le terrain, les modèles se heurtent aux détails pratiques qui « peuvent faire la différence entre un succès et un échec». Que peuvent les urbanistes, sinon devenir à leur tour les « plombiers des villes » ? Puisque 80% du bâti de 2050 a déjà été construit, ne serait–il pas plus utile, au lieu d’aspirer à décrire l’idéal de la ville décarbonée, de décarboner celle qui est déjà là !
Agir maintenant pour une ville décarbonée
S’il y a une leçon à tirer des trois webinaires organisés sur ce thème de la ville décarbonée par le site Urbanisme en Francophonie, c’est bien de ne pas attendre « le grand soir » mais de mettre en œuvre, aux échelles locales et jusque dans les pratiques quotidiennes, les solutions et les changements. Ce message enthousiaste a été porté par Andréa Pino, Architecte, qui a relevé le défi d’accompagner les ménages de l’habitat informel de Valparaiso (Chili) vers une amélioration de leur logement et de leurs conditions de vie quotidienne… Leur succès partagé a conduit le gouvernement du pays à changer d’échelle et à reproduire la méthode sur d’autres territoires.
Et bien entendu, de tels efforts seraient d’autant plus efficaces si les moyens mobilisés étaient à la hauteur des enjeux. Or, nombre de territoires ne peuvent disposer des compétences ni des informations objectives sur leur situation, comme le rappelait Mme Hélène Tine, Adjointe au Maire de la ville de Thiès (Sénégal). Il manque surtout des ressources économiques mobilisables. C’est pourquoi Bettina Laville, Présidente d’honneur du Comité 21, appelait les bailleurs internationaux à soutenir directement les autorités des villes et leurs services. Ce soutien est en effet, une des conditions pour dépasser les modèles obsolètes, pour enseigner de nouveaux procédés constructifs et pour encourager les innovations.
Tant Madame Yvrose Pierre, Maire du Cap Haïtien, Ousmane Sow, Directeur de l’agence urbaine du Grand Bamako, qu’Ahouéfa Madiana Pognon, Ingénieure bâtiment durable, ont souligné combien les contextes et les représentations pèsent et combien il est nécessaire de faire pédagogie en partageant les réussites observées. L’attention aux réalités locales a également été portée avec force par Célestine Ketcha Courtès, Ministre en charge de l’Habitat et du Développement au Cameroun : la forme urbaine, la planification, les infrastructures, le choix des matériaux ne doivent plus être pensés sans une attention continue aux coûts globaux, aux savoir-faire existants, à la pleine mobilisation des maires et des habitants. Quant à l’État, loin de se cantonner à un rôle accessoire, il doit se faire entraîneur et facilitateur !
Plutôt que d’invoquer de grands concepts et des règles générales, peut-être faudrait-il davantage expliciter la finalité et retenir les bons outils pour que la solution règle le problème et ne se contente pas de le déplacer. Ainsi, plutôt que de décrire une smart city numérique, Jean-Baptiste Thony, Conseiller Municipal de Bordeaux, Arlande Joerger-Aroukoun, Entrepreneure et Youssef Diab, Professeur à l’Université Gustave Eiffel se sont attachés à montrer comment des outils numériques montrent leur utilité pour raccorder des habitats informels ou pour irriguer des terres agricoles et des espaces naturels dans les villes.
Alors que les archives, articles, ouvrages, extraits d’actualité ou cartes postales, nous rappellent combien les convictions trop certaines d’hier ont pu s’abimer dans l’Histoire, notre époque saura-t-elle muer et exprimer moins de jugement mais plus de mesure ? Saura-t-elle aussi davantage apprendre de la diversité ? À sa modeste échelle, c’est bien le projet que porte le site Urbanisme en Francophonie depuis six mois. La parole des Grands Témoins a rapporté la place de la langue française dans leur exercice professionnel. Les synthèses d’actualité ont illustré les nombreuses initiatives qui, à leur échelle, traduisent le dynamisme des villes, de leurs maires, de leurs services et de leurs habitants. Enfin, les webinaires sont devenus les temps privilégiés de dialogues entre élus, praticiens et universitaires. Et c’est bien le rôle qui doit être attendu que de devenir un centre de ressources destiné à accueillir, à faire connaître les contributions et les propositions de solutions mais aussi à partager des valeurs.
L’approche proposée par Franck Boutté, Lauréat en France du Grand Prix de l’Urbanisme, doit nous servir d’exemple, lorsqu’elle entend mobiliser les enjeux environnementaux à toutes les échelles, du matériau au territoire et lorsqu’elle encourage l’implication de tous les acteurs de la ville. Le philosophe Alain distinguait l’industrie de l’art quand la représentation d’une idée dans une chose se réduisait à une œuvre mécanique. Peut-être devons-nous apprendre à retrouver l’originalité de l’idée derrière l’objet, la place de l’artisan humain au côté de l’industriel efficace ?
Lionel PRIGENT, Urbaniste et Économiste, Professeur à l’Université de Bretagne Occidentale, Directeur du Laboratoire de Géoarchitecture
Tous les 15 du mois, retrouvez la tribune de Lionel Prigent (Urbaniste et Économiste, Professeur à l’Université de Bretagne Occidentale, Directeur du Laboratoire de Géoarchitecture), qui apporte une réflexion sur les actualités Urbanisme en Francophonie.