Le monde est aujourd’hui face à de nombreux défis dont beaucoup relèvent de la démographie. Nous devrions être près de 10 milliards d’êtres humains en 2050 mais cette augmentation globale intègre des évolutions contrastées : à la fois une explosion de la jeunesse, notamment en Afrique subsaharienne qui attend un doublement de sa population mais aussi un rapide vieillissement alors que déjà, les personnes de plus de 65 ans sont aujourd’hui la catégorie qui connait la plus forte croissance.
Toute cette population est destinée à vivre en ville : la majorité de la population mondiale serait urbaine depuis 2010 et les estimations onusiennes envisagent un taux de 70% vers 2050. Or, l’expansion des villes, quelle que soit l’information retenue, dépasse la seule motivation d’accompagner la croissance démographique : qu’il s’agisse de sa fabrication ou de son métabolisme, de sa consommation d’énergie (selon les chiffres de l’ ONU en 2018, les villes représentent 70% des émissions de CO2 et 78% de consommation énergétique), de construction d’infrastructures, de mobilisation des ressources naturelles voisines ou plus éloignées, la ville est un phénomène en expansion rapide et participe à l’artificialisation de notre environnement.
Ainsi, en France, les estimations les plus courantes indiquent qu’1% du territoire était artificialisé en 1840 contre 9% en 2020 alors que la population a seulement doublé sur la même période. Au Niger, on observe à la fois un doublement de la population à chaque génération et une urbanisation qui s’accélère. En effet en 2012, date du dernier recensement, on dénombre 17 millions de nigériens dont 21, 7% d’urbains et une croissance urbaine de 3,9% par an, la plus faible d’Afrique. Depuis cette croissance s’est accéléré pour atteindre 6,9% contre 3% au niveau mondial, et à ce rythme sur une population de plus de 70 millions attendus en 2050, 50% seront des urbains.
Si nos deux situations, en France et au Niger, ne sont guère comparables dans les causes et dans les impacts observés, elles nous rassemblent pourtant par une conviction commune : c’est en ville que nous devons travailler à chercher des solutions qui engagent les sociétés humaines vers une réduction de leurs impacts sur la planète et vers une amélioration de leur sort quotidien ; ce sont les villes qu’il faut transformer afin de les rendre plus « propres », plus circulaires, plus ouvertes à la biodiversité, plus fluides, plus hospitalières.
Et les mutations attendues sont nombreuses si l’horizon souhaité est que l’économie circulaire s’impose davantage face à une économie linéaire qui accumule déchets et pollutions. Alors que les inégalités dans l’accès au territoire, aux richesses et aux savoirs continuent de s’accroître, comment transformer les modèles urbains pour qu’ils tiennent mieux compte des contextes locaux et que les profits de quelques-uns n’ajoutent aux malheurs de tous les autres ?
De cet urbanisme à l’échelle humaine, c’est-à-dire de notre manière de penser la ville, de la faire et de la gérer, doivent naître les solutions d’aujourd’hui et de demain. Mais encore faut-il pouvoir mobiliser une intelligence collective qui brasse les expériences, mêle les inspirations et nourrisse les solidarités. Pour y parvenir, nous avons besoin des mots à partager mais aussi un lieu où se retrouver.
C’est le sens donné au projet « Urbanisme en Francophonie » (initiative portée par l’Association Internationale des Maires Francophones (AIMF) en partenariat avec le réseau APERAU et le Laboratoire Géoarchitecture. Territoires, Urbanisation, Biodiversité, Environnement), que d’organiser les débats autour des villes et d’éclairer les solutions possibles. Les contenus mis en ligne en quelques mois ont ainsi conduit à poser les enjeux universellement partagés mais aussi la diversité des implications régionales et la profusion des initiatives : les villes du monde francophone se révèlent ainsi bien moins en concurrence les unes par rapport aux autres qu’engagées face aux mêmes difficultés.
Nous pouvons observer tout ce que l’urbanisation, comme état urbain du monde, a apporté à l’ensemble de l’espace francophone. Formes, techniques, matériaux, pratiques ont nourri une expérience et inventé un patrimoine que chaque pays a désormais en responsabilité : ce sont des monuments, des bâtiments, des lieux de vie, des espaces publics, des rues travaillés par les climats, le temps, les pratiques et les récits…
L’urbanisme d’aujourd’hui peut disposer de cette immense source pour imaginer comment adapter les villes et accueillir les habitants. Et la communauté d’une langue permet de mobiliser les mots, d’entretenir les mémoires, mais aussi d’expliquer, en détail et en nuance, les possibilités et les diversités : face aux risques climatiques, face aux crises de l’énergie, face aux conflits, grâce à l’étendue des expériences, comment nos villes francophones peuvent-elles devenir anti-fragiles ?
Faire dialogue autour des villes, sans réduire les difficultés, sans négliger les enjeux, doit être une ambition majeure de la francophonie. Car chacune ou chacun peut être concerné. Ce sont les habitants, dans leurs pratiques et leurs habiletés quotidiennes, ce sont les professionnels de tous les métiers qui font et animent la ville, ce sont les Maires qui ont la charge de porter les décisions collectives et d’engager les stratégies pour demain, ce sont enfin les chercheurs, les ingénieurs, les universitaires qui augmentent notre savoir et le transmettent.
Toutes ces expressions sont indispensables, non seulement parce qu’elles rappellent combien l’urbanisme est l’affaire de tous et éclaire les conditions du vivre ensemble, mais aussi parce que la francophonie, au-delà d’un espace linguistique est aussi un espace d’échange technique, économique et culturel dans le sens le plus large. De Dakar à Lausanne, de Dshang à Phnom Penh, de Paris à Niamey, l’urbanisme en Francophonie témoigne d’une politique en action car, entre les deux, il y a un monde en commun.
Ressource :
- Sujet la note des Nations unies : https://www.un.org/fr/un75/shifting-demographics
Signataires :
- Ibrahim OUMAROU, Secrétaire général du Ministère de l’urbanisme et du logement au Niger.
- Lionel PRIGENT, Urbaniste et Économiste, Professeur à l’Université de Bretagne Occidentale, Directeur du Laboratoire de Géoarchitecture Brest