La ville ne naît pas spontanément. Elle se construit et se gère grâce aux initiatives et aux actions de bien des parties prenantes, acteurs de la fabrique de la ville bien-sûr mais aussi habitants, élus, entreprises, services publics… Et elle doit en permanence s’adapter aux besoins qui s’expriment mais aussi aux défis de plus en plus nombreux auxquels elle doit faire face : dérèglement climatique, perte de ressources naturelles et de biodiversité, évolution des populations, transformation des conditions de production, de distribution et de consommation. Le fonctionnement des villes, au service des habitants, impliquent de mobiliser des ressources et d’organiser les espaces et les flux. Devant les enjeux d’un monde en transition, cette table ronde organisée à Paris le 27 avril 2023 en marge de 98ème réunion du Bureau de l’Association Internationale des Maires Francophones, vise à répondre aux questionnements suivants :
Interrogations
- Comment la ville peut-elle demeurer un espace de progrès, ouvert, hospitalier, innovant, attentif aux cultures et à l’environnement ?
- Comment toutes les villes francophones, en particulier les membres de l’AIMF, peuvent-elles faire exemple par leurs pratiques mais aussi par leurs témoignages ?
- Comment la langue française peut-elle pleinement participer à imaginer puis à diffuser les intentions pour la ville de demain ?
- Comment penser et construire les villes de demain, lorsque le monde doit organiser ses transitions vers un développement plus respectueux des personnes et de la biodiversité ?
Intervenants
– Mme Annie Chrystel LIMBOURG IWENGA, Deuxième adjointe au Maire de Libreville en charge de la Coopération décentralisée et de l’intercollectivité,
– M. Vineshsing SEEPARSAD, Chef exécutif de la ville de Port-Louis
– M. Franck Boutté, Grand prix de l’urbanisme 2022
– M. Xavier BAILLY, Directeur délégué de la cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts
– M. Alain Bourdin, Sociologue et Professeur a l’Ecole d’Urbanisme de Paris
Contextualisation
Il existe aujourd’hui environ 320 millions de locuteurs en langue française, ce qui en fait une des langues les plus utilisées dans le monde. Cela signifie qu’ils parlent, lisent, écrivent, pensent en français et, parce qu’ils utilisent les mêmes mots pour désigner les mêmes choses, ils peuvent exprimer des besoins, mais aussi rapporter des émotions, développer leurs idées, mobiliser des concepts abstraits. C’est parce que nous avons en partage une même langue, que l’on peut accéder aux travaux du philosophe Achille MBembé, et apprendre de lui les devenirs de la terre qu’il nous engage à chercher dans les devenirs du vivant et dans notre capacité à faire « une communauté terrestre ».
Nous sommes 320 millions de locuteurs. Et beaucoup, statistiquement plus de la moitié, vivent en ville qui est devenue le cadre de vie et l’horizon. Pour toutes les régions de la planète, cette évolution anthropique, entropique et anthropologique constitue un incroyable défi car elle s’est accompagnée d’une transformation du rapport des sociétés humaines avec la nature réduite à une source pourvoyant nos matières premières et à un puits où se déversaient nos déchets… Et nos villes, partout dans le monde, à quelques rares exceptions, traduisent cet arrachement dans leur rapport aux sols, dans leur relation à leur environnement, dans leur métabolisme et jusque dans leur rapport aux hommes.
Les conséquences des activités humaines et de ces transformations, nous devons en prendre la mesure sans tarder. Car le temps presse et les défis sont immenses, des changements climatiques, des pénuries de ressources, notamment de l’eau, des pertes irrémédiables de biodiversité qui fragilisent nos écosystèmes, des destructions de nos patrimoines et même de la diversité des cultures humaines nous menacent. Et nous savons, comme l’indiquent les travaux des économistes du développement, que ces défis nous obligent d’autant plus que nous ne serons pas égaux face à leurs conséquences. Ce sont les plus pauvres et les plus fragiles dans chaque territoire, ce sont les villes les plus pauvres dans les régions du monde qui vivront les pires difficultés et qui les vivent déjà. Alors il faut agir !
À notre échelle, cela veut dire changer les villes et prendre notre place au sein de la Communauté terrestre qu’Achille MBembé a appelé de ses vœux, car « Chaque geste compte », comme nous le rappellent Dominique Bourg et Johann Chapoutot dans un court texte récent. La francophonie, les villes, la communauté ! Et devant nous les défis que nous devons tous affronter… Est-il possible de trouver meilleur résumé au projet que l’AIMF a porté depuis sa dernière assemblée générale en lançant le projet « Urbanisme en Francophonie » ? Modestement, à son échelle, mais en tâchant de mobiliser l’ensemble des acteurs, les Maires et leurs équipes, bien sûr, mais aussi les concepteurs des villes, les gardiens de leur patrimoine et de leur histoire, et bien sûr les universitaires qui nous aident à dégager du sens dans la grande complexité du monde. L’urbanisme comme il se vit, comme il se fait, comme il nous parle !
Et c’est ici que la question du langage nous rejoint… Le terme urbanisme appartient à notre langue. Si nous devions l’exprimer en anglais, il nous faudrait envisager l’urbain planning, l’urbain design et sans doute encore un pan des critical studies. Il ne faudrait pourtant pas conclure de l’unicité du terme « urbanisme » et de sa polysémie, une quelconque pauvreté de notre langue. Mais tout à l’inverse, la revendication de l’entremêlement des sujets : comment penser la ville sans la faire, comment la faire sans la vivre, comment la vivre sans la raconter ?
Cette table ronde propose d’échanger sur quelques thématiques qui doivent pouvoir être partagées, développées et discutées :
- la ville du quart d’heure ou comment dépasser le slogan en repensant la question de l’accessibilité aux différents niveaux des centralités ?
- les mobilités, dans leurs multiples dimensions et leurs préoccupations croisées…
- les transitions écologiques, économiques, sociales et sociétales ;
- l’urbanisme durable et notamment la notion de patrimoine.