La “dubaïsation” en marche des villes d’Afrique par la course aux gratte-ciel

Symbole de l’émergence du continent, ce modèle de développement contraste pourtant souvent avec les attentes de la population. De grandes villes d’Afrique se sont lancées depuis quelques années dans une course à la hauteur, avec de grands projets de gratte-ciel : Le Caire, Rabat, Abidjan ou encore Dakar (cf document rattaché en ressources).

  • L’Égypte achève actuellement son “Iconic Tower“, qui culmine à 393 mètres au cœur de sa nouvelle capitale administrative, située à 45 kilomètres du centre du Caire et du Nil.
  • Le Maroc, lui, a sa Tour Mohammed VI à Rabat, qui affiche 250 mètres de haut. Pour qualifier ces rêves de gigantisme, on entend désormais parler de “Dubaïsation” de l’Afrique, en référence à l’Émirat du Golfe et son urbanisation extravagante.
  • En Côte d’Ivoire, à un an de l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations de football, la ville d’Abidjan est un immense chantier permanent. Entre première ligne de métro ou nouveaux ponts enjambant la lagune Ebrié, une construction monumentale commence à s’élancer vers le ciel au cœur du quartier des affaires. La Tour F du quartier du Plateau, dont 17 étages sont déjà sortis de terre, est budgétée à au moins 500 millions de francs suisses.

Focus sur la future vitrine internationale de la Côte d’Ivoire

La Tour F doit en théorie être achevée en juin 2025, soit quelques mois avant l’élection présidentielle. Sa taille définitive est encore en discussion, en raison de problèmes de financement. Elle pourrait atteindre 250, 280 ou encore 333 mètres de haut. Il a aussi été question un temps d’y rajouter encore une antenne de 80 mètres pour en faire l’immeuble le plus haut d’Afrique.

C’est la future vitrine de la Côte d’Ivoire à l’international. Mais des membres de l’opposition et des acteurs de la société civile dénoncent un projet inadapté, beaucoup trop cher et décidé sans consultation du Parlement. La Côte d’Ivoire se développe mais la population ne gagne rien, déplorent certains.

? Pour écouter le reportage de François Hume-FerkatadjiDes villes africaines rêvent du modèle Dubaï” dans l’émission Tout un monde du 29 mars 2023 :

Image de synthèse de la Tour F, dans le quartier du Plateau à Abidjan. [Besix - DR]

Des symboles ambigus de la modernité

Il y a de fait une situation un peu paradoxale aujourd’hui en Afrique, souligne Armelle Choplin, Professeure de géographie et d’urbanisme à l’Université de Genève, mercredi dans l’émission Tout un monde de la RTS.

“On a ces tours qui fleurissent dans la plupart des villes, soumises à certaines critiques mais qui sont aussi des symboles de l’émergence, peut-être d’un mieux-vivre pour la population, un peu comme la première pierre vers un développement dont on a tant parlé”, dit-elle.

Ce modèle contraste pourtant avec les attentes de la population. Souvent, les citoyens disent que ça ne leur rapporte rien au quotidien, mais la situation est complexe pour les dirigeants.

“Les dirigeants doivent répondre aux besoins des habitants (…) et en même temps faire de leurs villes des vitrines”, fait remarquer cette spécialiste.

Il faut savoir aussi que la construction est le secteur le plus dynamique aujourd’hui dans des pays qui connaissent un taux de croissance à deux chiffres. Si l’Afrique a encore aujourd’hui l’image d’un continent pauvre, ce qu’elle est, cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas de riches.

“Ces tours sont le symbole de cet argent qui arrive en Afrique mais elles sont critiquées parce que les gens n’y habitent pas, elles sont vides. Et c’est là toute l’ambiguïté de ces symboles de la modernité et de l’émergence”, note Armelle Choplin.

Une partie de la population, même infime, est riche, voire très riche, et veut aussi investir. “Ces nouveaux riches s’appellent eux-mêmes des “afri-capitalistes“.

“Les afri-capitalistes aimeraient que les retombées de leurs activités aillent à l’Afrique en premier lieu.(…) Ils vont le réinvestir localement et très souvent, le seul secteur qui a peu de risques, c’est le secteur immobilier”, ajoute Armelle Choplin.

Pour la jeunesse africaine, le modèle de réussite est clairement Dubaï, selon la spécialiste. C’est aussi un modèle émancipé de tout rapport hérité de la colonisation. Et les tours sont aussi destinées à changer l’image de l’Afrique.

“Pourquoi ce serait le seul continent qui ne devrait pas avoir de tours ? Quelque part, les villes africaines sortent ainsi de leur exceptionnalité”, interroge-t-elle enfin.

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