Comment les formes urbaines influencent les comportements des usagers ?

C’est la question qu’analyse l’agence lyonnaise de psychologie & modes de vie Nunaat. Fondée par deux psychologues sociales, Maéva Bigot et Aura Hernández, elle accompagne les acteurs de la fabrique urbaine pour comprendre les impacts que peut avoir un projet d’aménagement urbain sur son environnement humain. Découvrez l’entretien d’LDV Studio Urbain sur Demain la Ville, le blog by Bouygues Immobilier.

Pouvez-vous nous expliquer la genèse de votre projet, votre rencontre, et plus largement la discipline de la psychologie sociale en elle-même ?

Maéva Bigot : “Nous nous sommes toutes les deux rencontrées en deuxième année de Master en Psychologie Sociale Appliquée à l’Université de Lyon. C’est un diplôme relativement général qui ouvre des portes sur un large éventail de disciplines, mais je me suis rapidement intéressée à l’urbanisme. En première année, j’ai effectué un stage sur le climat urbain et le sentiment d’insécurité en ville, j’y ai découvert une spécialité à la fois sensible et pluridisciplinaire qui aborde des questions de politiques publiques, de l’économie locale, mais aussi des relations et comportements intergroupes. Cette spécialité nous apprend beaucoup de choses sur l’environnement qui nous entoure et comment est-ce qu’on le ressent, et c’est sur cet angle que je veux agir en tant que psychologue sociale“.

Aura Hernández : “J’ai commencé mes études par une licence de psychologie en Colombie, mais la question des villes m’a toujours intéressée. Non pas par le côté urbain et technique de la discipline, mais plutôt par l’aspect anthropologique et historique de ces lieux de vie : la manière dont les villes sont habitées et organisées, comment est-ce qu’elles racontent leurs histoires. C’est à la fois révélateur d’où est-ce que nous en sommes aujourd’hui en termes d’évolution, et de ce que nous allons laisser comme héritage aux futures générations. Les décisions politiques qui ont été prises, la relation de la population à son territoire, la connaissance ou non des écosystèmes locaux, ce sont autant de sujets qui nous révèlent si la ville participe efficacement au développement de la population. En tant que psychologues sociales et environnementales, c’est ce que nous recherchons et ce pour quoi nous travaillons : le développement personnel et collectif. Nous cherchons donc à créer des milieux de vie propice au développement des personnes et des écosystèmes naturels. C’est ce qui nous différencie des sociologues : tandis qu’ils exposent les faits et posent une photo du décor social, nous avons une posture d’accompagnement et intervenons directement auprès des personnes pour soutenir leur développement. Prendre soin des relations et des personnes de manière psychologique, c’est l’objectif qui guide chacune de nos interventions en tant que psychologues sociales”.

Comment Nunaat participe-t-elle à réinventer nos comportements ? Quelle est votre place dans les rouages de la fabrique urbaine ?

Maéva Bigot : Nunaat, c’est une entreprise dont la raison d’être est de renforcer les compétences sensibles et de transformation des acteurs de l’aménagement du territoire, dans l’idée que ces différents acteurs influencent nos modes de vie par la modification de notre environnement et de nos milieux de vie. Opérer auprès de ces acteurs, c’est donc l’occasion de changer nos habitudes, de recréer nos modes de vie, de choisir la manière dont on voudrait habiter la Terre.

Pour y parvenir, nous abordons toujours la question urbaine sous trois volets.

  • D’abord, nous venons questionner les formes urbaines et architecturales : comment est-ce qu’elles créent des occasions et des opportunités, ou au contraire, des obstacles et des contraintes, dans la manière d’habiter notre territoire, de gérer nos déchets, de rencontrer des personnes… Plus largement, quel rôle et quelle influence jouent-elles sur nos modes de vie ?
  • Ensuite, nous nous intéressons plus en détail à tout ce qui est lié au processus de concertation, de participation citoyenne, de coopération entre les parties prenantes. Ces processus permettent de dépasser la simple coordination ou gestion de projet et offrent l’opportunité de dessiner collectivement notre environnement en fonction de nos besoins respectifs. Ce sont des processus d’apprentissage et de changement qui permettent de lier les personnes entre elles et de ramener de l’humanité dans les projets.
  • Enfin, notre troisième axe d’approche consiste à étudier les impacts liés aux modifications de notre environnement et des agissements de chacun. Que regarde-t-on pour savoir si les répercussions de nos actions sont positives ou non, ou encore si elles répondent à des besoins fondamentaux ou non ? Trouver les réponses à ces questions nous aide à nous orienter et nous indique si l’on agit dans le bon sens ou pas”.

Aura Hernández : “Ce qui nous intéresse dans les missions auprès des professionnels de la fabrique urbaine, c’est de les former sur la dimension sensible de l’urbanisme, pour leur permettre de regarder autrement les projets urbains, pas seulement du point de vue technique. Dans ces formations, nous abordons par exemple le lien entre la santé et l’aménagement urbain, ou encore nous présentons la participation citoyenne comme un levier émancipateur de changement de nos comportements plutôt qu’un simple moment démocratique.

Il est quelquefois difficile de nous catégoriser, nous sommes au carrefour de l’urbanisme favorable à la santé, de l’innovation publique, et de la politique de la ville. Nous participons à la transition écologique et à la transformation de nos modes de vie par la prise en compte des dimensions subjectives, psychosociales, environnementales et communautaires des villes.

De manière globale, nous aidons ces acteurs à changer leur point de vue dans le faire projet. De notre expérience, nous nous sommes rendu compte que ces acteurs sont trop concentrés sur le Comment plutôt que sur le Pourquoi et le Quoi. Pourtant, avant de savoir Comment agir, il est important de savoir ce qu’on manipule et dans quel but”.

Pouvez-vous nous en dire plus sur comment notre environnement urbain influence notre comportement, et réciproquement ? Avez-vous un cas concret pour l’illustrer, une situation à laquelle vous avez été confrontées ?

Maéva Bigot :Notre environnement nous envoie des signaux sur ce qu’il est possible de faire ou non. D’une certaine façon, il encadre nos possibilités d’action et structure notre expérience et notre perception des choses. Prenons l’eau comme exemple : à l’époque, nous devions nous déplacer et aller la chercher directement aux puits, mais aujourd’hui, grâce aux avancées techniques, nous avons simplement à ouvrir notre robinet. Cette innovation a révolutionné notre manière de vivre et structure d’une certaine manière notre environnement et nos représentations. Nous agençons l’espace en fonction de cet accès à l’eau et notre rapport à l’eau et notre comportement n’ont rien à voir selon les époques. C’est toujours un jeu entre l’environnement physique réel et l’environnement physique perçu.

Comment agissez-vous concrètement auprès de ces acteurs de l’aménagement du territoire, de l’acte de bâtir et d’habiter afin de développer les compétences sensibles et scientifiques nécessaires à l’émergence de transformations sociales ?

Maéva Bigot :Aujourd’hui, nous travaillons autant avec des partenaires privés que publics, nous essayons d’agir auprès d’acteurs qui sont motivés et intéressés, mais aussi qui ont le pouvoir d’agir. Il s’agit de la maîtrise d’ouvrage, des collectivités, des urbanistes d’agence privées ou encore des paysagistes…. L’idée c’est de venir leur expliquer comment fonctionne l’être humain, comment fonctionne notre esprit et nos interactions, de sorte à développer le potentiel des personnes, des organisations et des lieux”.

Aura Hernández : “Nos formations restent exclusivement axées sur la pratique, nous sommes convaincues que c’est l’action de mettre en pratique qui va leur permettre de comprendre certaines situations. Nous envoyons toujours le contenu théorique et méthodologique en amont de la formation, une infographie qui sert de grille de lecture, pour que le temps de notre rencontre soit uniquement réservé à des exercices de mise en situation. Ce qui nous intéresse, c’est que chaque professionnel ait une grille de lecture plus claire sur les impacts des décisions du projet au moment de penser un espace, un bâtiment, un quartier”.

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