Selon Emmanuelle Picaud (journaliste indépendante) : “Peu répandues auprès des urbanistes au début des années 2000, ces pratiques de l’urbanisme transitoire ont bousculé les codes et les profils métiers du secteur. Jusqu’à créer, pour certains, un bouleversement culturel“.
Alors qu’il était quasiment inconnu du vocabulaire des professionnels de la ville au début des années 2000, l’urbanisme transitoire est devenu, en l’espace de quelques années, un monde à part entière de la profession, avec ses propres codes et ses profils métiers. Ses représentants s’emploient, avec l’aval des maîtres d’ouvrage, à occuper des espaces urbains délaissés en attendant leur appropriation par les porteurs définitifs du projet : ensembles immobiliers, friches industrielles, terrains publics vacants… Le principe est de proposer, à des prix défiant toute concurrence, un foncier à des acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) et à des artistes, le temps que le projet soit requalifié.
Relativement récent en France, ce phénomène n’est pourtant pas si nouveau en Europe.
- « Dès les années 1980, l’Allemagne était déjà en avance par la profusion de projets », explique Hélène Morteau (dirigeante et cofondatrice de la société Bien Urbaines et coauteure d’une étude publiée en 2019).
- Les Anglo-Saxons s’y sont convertis à partir des années 2000, peu après l’éclatement de la bulle immobilière qui a laissé de nombreux logements vacants en centre-ville de Londres ; et le niveau de vie en a fait l’une des villes les plus chères pour se loger en Europe. Dès lors, des entreprises outre-Manche se spécialisent dans l’offre de studios pour artistes. Elles leur louent des logements vacants, dont les surfaces – situées dans des espaces en réhabilitation – sont suffisantes pour y vivre et y travailler, à un prix très inférieur à celui du marché. En parallèle, des pop-up stores, sortes de boutiques éphémères, fleurissent dans les rues londoniennes. Construit en 2011, le centre commercial éphémère Shoreditch, dans l’est de la capitale anglaise, s’était installé dans des containers. Il est encore possible aujourd’hui de déambuler entre les boutiques de créateurs branchés et les stands de street food qui ont conservé l’architecture temporaire des premières heures du projet.
- Le cas anglais diffère néanmoins du français. « À Londres, ce phénomène s’est appuyé sur une logique beaucoup plus libérale. Ces pop-up stores étaient, avant tout, un moyen d’optimiser financièrement du foncier. Ce que nous appelons “urbanisme transitoire”, en France, s’ancre davantage dans une logique d’intérêt général. Ce n’est, d’ailleurs, pas un hasard si les réseaux d’urbanisme transitoire français sont aujourd’hui en relation avec la Belgique, la Suisse et l’Italie, mais très peu avec l’Angleterre », commente Cécile Diguet, urbaniste à L’Institut Paris Region et spécialiste de l’urbanisme transitoire.
Grands Voisins parisiens et Ateliers Briand san-priots
En France, un projet a marqué un tournant dans le domaine : en 2015, les Grands Voisins arrivent à Paris. En deux temps, de 2015 à 2020, l’occupation temporaire de l’ancien hôpital Saint-Vincent- de-Paul, dans le 14e arrondissement de Paris, est un vif succès. Sur cet espace de 3,4 hectares se sont installés non seulement des acteurs de l’ESS, mais aussi des personnes en situation de vulnérabilité, qui ont pu bénéficier d’hébergements. La première partie de l’expérience (2015–2017) s’est achevée le 22 décembre 2017, mais elle a définitivement marqué son empreinte dans l’histoire de l’urbanisme temporaire français. « Cela a permis à des acteurs comme Plateau Urbain de se consolider et d’apporter de la confiance auprès des autres acteurs. L’effet d’entraînement va être assez fort », analyse Cécile Diguet (urbaniste).
D’autres ont suivi peu après, comme Darwin, situé à Bordeaux dans le quartier de La Bastide, où les porteurs de projet ont investi une ancienne caserne désaffectée, ou encore les Ateliers Briand, à Saint-Priest, en banlieue est de Lyon, où trente entreprises de l’ESS et du réemploi se sont récemment implantées dans ce lieu de 5 hectares, réutilisant les bâtiments industriels de l’équipementier automobile Solyem.