La chape, le calque – Horizons politiques de la ville

Dans cette tribune “Urbanisme en Francophonie “ Sénamé Koffi Agbodjinou, Architecte, anthropologue togolais, entrepreneur et fondateur de L’Africaine d’architecture /HubCity-WoeLab, nous fait part de sa vision de la modernité en pleine mutation et de la place de l’Afrique dans ces bouleversements.

La modernité est animée d’un inconscient réificateur. Cela tient à ce que son projet philosophique, cristallisé au cœur de l’Europe des Lumières, d’emblée, associa le grand sujet sociopolitique de l’émancipation de l’homme et la spéculation métaphysique sur la condition organique. 

Il en découla une équation malheureuse, simplificatrice, qui consacre la principale démission de la pensée moderne : De l’individu libéré abstrait (Ego), l’avènement est enjeu de formalisation de l’environnement idéal, abstrait, du libere. (c’est dire fonction d’une capacité synthétique)

Tout pour Ego !

Toutes énergies mobilisées dès lors, rigoureusement progressistes, n’ont été que service de ce désir, pour échapper à “l’emprisonnement terrestre”, d’atteindre un artificiel achevé en possibilité. Dessein confiné à un effort de se dé-contraindre de tout fait d’intrication supposée originelle. Ainsi survient le geste formidable d’échanger complètement l’existence humaine telle qu’elle est “donnée“, “cadeau venu de nulle part“, selon le terme de H. Arendt, dans l’ouvrage Conditions de l’homme moderne, autant dire d’abolir le réel.

L’avenir réduit à un immense à-finir ; les choses à leur utilités… L’aménagement contre le ménagement, tout est initialement pour Ego. Une telle névrose prospéra, de moins en moins directement philosophique, de plus en plus opportune. Elle offrait le fondement de choix, évident, au paradigme du profit. D’une abstraction l’autre, ainsi fut mise en chantier, fatalement, la gigantesque courroie de transmission d’une suite constante de déliaisons. Des tranches franches notamment dans la nature et le groupe… des ruptures disorganiques pour ainsi dire, dont la dynamique n’est pas éteinte. 

Car la modernité qu’on croit tarie, achevée au passé, est en réalité véloce. Elle nous porte à une singulière actualité de son projet. La radicalité dernière de l’idéal de synthèse et le grand moment final de l’éthéré ouvert par le digital, ensemble, échafaudent un horizon spectral de l’humanité. Le corps, ultime contrainte d’organicité, est assiégé. Il s’esquisse plus concrètement que jamais, le lieu d’Ego, ce sublime délié… Un quelque part où tout se connaîtrait mais plus rien ne se reconnaîtrait. 

L’humanité est sommée de choisir : habiter ou hanter.

Géopolitique de l’habiter

Ceux à la vision la plus profonde, à peine, auraient anticipé un basculement futur vers une géopolitique du matériau, elle-même mue structurelle de celle des ressources en instance d’être strictement ramenées à lui. Or, lui grillant la politesse, c’est bien plutôt ce qu’il conviendrait de nommer une Géopolitique de l’Habitation que nous observerons émerger !  Quasi inéluctable reconfiguration des logiques de l’ordre mondial, à la faveur de processus combinés de métropolisation générale et de plateformisation du monde. 

Il s’y apprécierait confusément les enjeux nouveaux : ceux planétaires de stabilité des conditions matérielles de l’existence autant que ceux de la réalité en calque produite par la dynamique de l’infrastructure digitale globale.

Ce régime au futur cristallise ainsi le double mouvement d’un anthropocène en réalité urbanocène et de la  “technopolitisation” : traduction directe de la tentation nouvelle, originale, de la technè par le contrôle total. Les choses convergent en l’intuition de cette dernière, la technè, qu’il passe, le contrôle, par la prise en main de la ville pour l’activation de leviers de système qu’elle permet. 

L’Afrique est au cœur de cette tension : nouvelle frontière et dernier bastion. Le continent dont la population augmente le plus rapidement fera ville de manière inédite. Il met la planète sous la menace de l’adoption définitive d’une économie architecturale inadaptée. C’est encore l’Afrique, pour la même raison, où est jeté récemment le dévolu d’un certain capitalisme digital. Abordés isolément, les aspects bâtis et digitaux, aveugles les uns aux autres, produisent des projections chimériques qui semblent une impasse dans laquelle s’est emboutie la décision ici même. 

La Cité Mondiale en jachère propose ainsi, depuis le continent, une complexité nouvelle à l’entendement. 

Publiée une fois par mois, la tribune “Urbanisme en Francophonie ” se propose de recueillir les témoignages et les réflexions d’une personnalité autour d’un sujet de son choix. Cet espace ouvert permet aux auteurs de partager librement leur vision du monde et de contribuer à ce récit original. Tandis que le monde doit organiser sa transition vers un développement plus respectueux des personnes, mais aussi des ressources de la planète et de sa biodiversité, comment penser et construire les villes ?

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ifeadani
ifeadani
2 mois il y a

Très clair et très profond