Urbanisme et Santé Mentale : exemples francophones

Dans cette tribune “Urbanisme en Francophonie” du 15 novembre 2024,  Rachel Bocher (Psychiatre des Hôpitaux, Cheffe de service CHU Nantes et Présidente de l’Intersyndicat National des Praticiens Hospitaliers (INPH) et des Hospitalo-Universitaires (HU)) nous rappelle, en amont de la deuxième édition du colloque international « Villes et santé mentale », qui se tiendra à Lausanne les 19 et 20 novembre 2024, que : “La Santé Mentale est le socle du bien-être individuel et le fondement d’un bon fonctionnement collectif. Cet état évolue aussi bien aux fonctions de facteurs individuels que de facteurs extérieurs (le COVID)”.

Introduction

Comme il n’y a pas de santé globale sans santé mentale, il n’y a pas de cité sans se préoccuper de la santé mentale de la population, avec une inclusion voulue et recherchée. Historiquement, les villes ont été intéressées par la problématique “Santé Mentale” à partir de quelques ateliers de santé organisés par la Municipalité de Nantes. Depuis 20 ans, les élus sont aux côtés des professionnels de psychiatrie et des usagers, ensemble réunis dans une instance formant le Conseils locaux de santé mentale (CLSM). Malheureusement ces CLSM sont réunis de façon trop aléatoire en fonction le plus fréquemment de l’investissement des élus concernés par ces questions.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), 1 européen sur 5 est atteint de troubles psychiques. Cela est descendu à 1 européen sur 4 depuis la pandémie, frappant davantage la tranche d’âge 15-25 ans. Que ce soit le logement, l’habitat, les espaces verts mais aussi la culture, le travail et les transports, tout a un rôle fondamental sur notre état de santé, notamment notre état de santé mentale, pour le préserver voire le prévenir de toute survenue de troubles
psychiques.

Il est plus que temps de sortir la question de « Santé Mentale », du seul champ des experts du soin. La santé mentale n’est que trop souvent évoquée à l’aulne des actes médicaux. Il convient de traiter à présent une approche globale, interdisciplinaire, diversifiée, associant la pluralité des métiers intervenants dans les différents secteurs d’activité de tout citoyen.

A quoi ressemble une ville favorable à la santé mentale ?

Quels rôles peuvent jouer les villes ? Et en quoi la politique d’un aménagement urbain peut-il contribuer à une meilleure santé mentale ?

« Il faut toute une ville pour être en bonne santé », évoquait un élu, Maire d’une grande ville française, en préambule du guide de santé mentale dans la cité, dans son édition 2022. Comme nous le rappelle Italo Calvino, « La ville a toujours été à l’épicentre de notre évolution pour devenir la projection concrètes de nos peurs et de nos désirs ».

Mais une ville, c’est aussi le reflet des réalisations concrètes, quelles que soient les conditions sociales, sociétales et culturelles. Tout à chacun est vulnérable. La pandémie a révélé cette vulnérabilité, a fait émerger des ruptures psychoaffectives et des détresses socio-professionnelles, aggravant les décompensations psychiques et leur lot de dégradations physiques.

Y-a-t-il une ville idéale ?  De façon lapidaire, il n’y a pas de ville idéale, pas plus qu’il n’existe de campagne idéale… Ou alors, ça se saurait. Néanmoins, il est possible d’identifier ou de citer quelques principes connus :

  1. La socialisation est nécessaire, comme l’établissement de liens sociaux avec la culture au sport. Cette socialisation a manqué pendant la pandémie, ce qui a eu pour conséquence un sentiment profond de solitude, certes beaucoup plus subjectif qu’objectif.
  2. C’est pourquoi, les politiques publiques des villes doivent favoriser l’accessibilité au service public, que ce soit le service public de santé, mais aussi le service public de transport, de l’éducation, voire de la culture ou du sport. Il s’agit d’exemples concrets de « coopérer pour faire la santé » et ainsi favoriser les espaces de rencontre et de convivialité, en tout cas des espaces qui font identité pour les habitants de la ville.
  3. Pour autant, la ville à elle-seule ne peut pas être tenue responsable, ni accusée de toute décompensation psychiatrique. Certes, une ville mal entretenue et/ou mal construite favorise l’émergence de troubles psychiques en lien probablement avec les facteurs de pollution tant sonores qu’atmosphériques ou autres… Dans ce cas, nous ne pouvons parler que de facteurs favorisants, voire de facteurs précipitant des vulnérabilités psychiques.
  4. La ville doit s’adapter aux enjeux de santé publique, aux transitions plurielles c’est-à-dire démographiques, écologiques et sanitaires. Cela a déjà été le cas dans le passé (la peste).
  5. Il s’agit donc de trouver une bonne densification, c’est-à-dire un bon équilibre entre la préservation d’un espace propre à chacun dans un quartier avec une densification vers une mobilité fluide. A travers une densification de qualité, les villes proposent et permettent une cohésion sociale et un bien-vivre ensemble, avec l’objectif d’être la ville de tous les âges, et une ville de la mixité sociale, une ville de parcours avec des structures d’accueil favorisant une inclusion sociale de chacun.

En clair, les politiques publiques doivent permettre un travail de partenariat, un travail de réseau avec les différents acteurs de la cité, pour permettre une ville inclusive qui met l’humain au cœur de tout projet urbain, c’est-à-dire un urbanisme relationnel.

Passer d’un urbanisme fonctionnel à un urbanisme relationnel

Agir en amont, c’est proposer aux habitants un environnement le plus propice à la bonne santé, notamment mentale, en passant d’un urbanisme seulement fonctionnel, qui pense la ville comme un espace de flux, en terme d’efficacité, à cet urbanisme relationnel, qui favorise à la fois le lien aux autres, mais aussi le lien à la nature et donne aux habitants parfois la possibilité, voire la capacité, de décider d’aujourd’hui et demain.

Ces parcours humains et urbains favorisent une ville fluide, évitant les obstacles qui entravent l’intégration sociale de chaque citoyen ; il convient d’éviter tout risque d’isolement, source de tant de mal-être.
Rappelons les 4 facteurs de stress principaux pour tout citoyen (Philippe CONUS et collaborateurs) :

  • Densité humaine,
  • Surcharge, accumulation (bruits, feux rouges, affiches…) induisant une fatigue excessive,
  • Obstacles à la mobilité,
  • Faire des rencontres (connues ou inconnues) au risque d’une défaite sociale,
  • La place de la nature en ville est favorisée non pas seulement en terme d’impératif écologique, mais également parce que ces espaces ou îlot de fraicheur induisent des espaces de rencontre, de distraction, où on peut faire soit du sport ou de la culture. Ce sont des espaces essentiels qui rompent la monotonie du quotidien.

Dans cet urbanisme relationnel, on souligne la place de l’art et de la culture. Ils sont des leviers majeurs pour permettre un bon état de santé mental. Ce rôle de l’art est aujourd’hui reconnu comme un élément d’apaisement et
d’épanouissement personnel, puisqu’il est même recommandé en terme de prescription muséale dans certaines grandes capitales francophones telles que le Québec, Bruxelles et Lausanne en 2024. Nous savons tous que l’esthétique et le beau, lorsqu’ils sont conjugués, déclenchent une émotion esthétique, avec un phénomène biochimique connu (décharges de Dopamine1), bénéfique à la Santé Mentale.

Exemples concrets de villes francophones

La pandémie a nettement aidé à la prise de conscience au niveau de la santé mentale de nos concitoyens, et ça au niveau des 5 continents, qui étaient d’ailleurs représentés lors de notre colloque « Villes et Santé Mentale » de décembre 2022 à Nantes, avec notamment les villes de Recife, Abidjan, Barcelone et Lausanne.

  • Ainsi, Lausanne évoque leur politique de développement urbain, ces éléments orientés vers le renforcement de la qualité de leur cadre de vie. Leur priorité est de faire une ville saine, apaisante, rassurante et inclusive pour favoriser le bien-être et prévenir les maladies psychiques par l’urbanisme.
  • Par contre, Abidjan nous a montré le retour d’expériences sur des pratiques artistiques soutenues. Toutes ces techniques artistiques, tant au niveau des arts de la scène que des arts plastiques, impactaient de façon positive la santé mentale de tous les publics, y compris les artistes eux-mêmes.
  • Enfin, Barcelone insiste sur les investissements accrus envers les populations des jeunes pour une meilleure connaissance de leur santé, eu égard la vulnérabilité psychique de cette population en post-Covid.

Conclusion

Ainsi, la “Santé Mentale”, particulièrement, est un sujet majeur de santé publique. Elle concerne donc les politiques publiques où il nous faut nécessairement associer tous les acteurs de la cité, les décideurs politiques (villes et collectivité, états) et prendre ce sujet de la Santé Mentale de nos concitoyens, à bras le corps. Les politiques urbaines
auront un impact sur la santé globale, en prenant en compte aussi bien les déterminants de santé que les inégalités de santé de tout citoyen.

En clair, la ville doit être un acteur de santé au même titre que l’hôpital un acteur de la ville : et ainsi aller dans le sens d’un bien vivre ensemble. Il est majeur de souligner dans cette conclusion que les points incontournables
restent le changement de représentation de la maladie mentale avec une destigmatisation. La réduction des inégalités associées entraine une inégalité d’accès aux soins, et bien entendu un travail sur la prévention et le repérage précoce, en travaillant sur l’aménagement urbain et l’accessibilité aux services publics pour « coopérer, pour faire santé ».

Pour finir, enfin, il nous faut décréter qu’architecture, urbanisme et patrimoine sont nécessaires pour créer et restaurer un habitat possible… vers une restauration de soi avec un épanouissement personnel. Entre éthique et Politique, la ville de demain ne serait-elle pas la ville des liens ?

Colloque “Villes & Santé mentale : une question et des solutions à partager” (Lausanne)

Vivre dans un milieu urbain peut être un facteur de mauvaise santé mentale, comme l’ont montré de nombreuses études scientifiques. Cependant, les villes offrent aussi de nombreuses ressources, insuffisamment utilisées ou trop difficilement accessibles à celles et ceux qui ont des troubles psychiques, alors que les espaces urbains pourraient favoriser la santé mentale et le rétablissement.

Ainsi, la deuxième édition du colloque”VILLES & SANTÉ MENTALE : une question et des solutions à partager”, accueilli par la Ville de Lausanne les 19 et 20 novembre 2024, vise deux objectifs :

  • Promouvoir l’idée que la santé mentale doit devenir une question partagée par l’ensemble des citadin-e-s.
  • Partager des initiatives et des solutions, développées dans des villes du Nord ou du Sud, permettant de faire des espaces urbains des lieux plus favorable à la santé mentale.

La première journée propose des conférences et tables rondes, avec des invité-e-s internationnaux-ales. Le deuxième jour est consacré au « forum des villes », permettant l’échange et le partage d’expériences.

➡️ Découvrir le programme : https://lausanne-sante-mentale.ch/programme/

Bibliographie

  • DAVIS Simon, GIRARD Charles, LE DANTEX Tangi, FANG Xiaoling (dir. CAPEILLE Jean-François), “Bien vivre la ville – Vers un urbanisme favorable à la santé“. Archibooks, 2018, 308p.
  • AIMF, Les Cahiers Raisonnance “Initiative pour la santé et la salubrité en Ville – Clés du succès“. AIMF, 2021, 70p.
  • BOCHER Rachel, BOUDART Yves, HOCHMANN Jacques, SEGADE Jean-Paul, VIDON Gilles, “Psychiatrie& Santé Mentale : les idées des acteurs“. CRAPS, 2021, 388p.
  • BERTOLOTTO Fernando, BOISSINOT TORRES Dolores, BRES Robert et al. (dir. JOUBERT Michel), “Santé Mentale Ville et Violences“. Eres, 2004, 340p.
  • JUNOD Grégoire, “État d’urgence“. Favre, 2021, 132p.
  • ROUILLON Frédéric, “Psychiatrie française Psychiatrie en France“. Springer, 2012, 190p.

Publiée une fois par mois, la tribune “Urbanisme en Francophonie ” se propose de recueillir les témoignages et les réflexions d’une personnalité autour d’un sujet de son choix. Cet espace ouvert permet aux auteurs de partager librement leur vision du monde et de contribuer à ce récit original. Tandis que le monde doit organiser sa transition vers un développement plus respectueux des personnes, mais aussi des ressources de la planète et de sa biodiversité, comment penser et construire les villes ?

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