Dans la série de photos suivantes, j’ai voulu me confronter à une forme urbaine difficile à s’approprier : le quartier la Part-Dieu à Lyon. Héritage des années fonctionnalistes lyonnaises, ce quartier est caractéristique de l’urbanisme sur dalle théorisé dans la charte d’Athènes. Les flux motorisés et piétons avaient été strictement séparés à l’aide de passerelles et de plateformes en hauteur, permettant une certaine verticalisation des déplacements doux (vision moderniste de l’époque).
Aujourd’hui, il est unanimement reconnu que cette tentative lyonnaise mais également que l’ensemble des transformations radicales des villes survenues pendant les 30 glorieuses, sont un échec urbanistique et social. Depuis 2010, la Part-Dieu est le centre d’un grand projet urbain, visant à donner au quartier une qualité de vie, esthétique et pratique en plus des enjeux économiques.
C’est donc un espace urbain multiforme, insaisissable et complètement chimérique, témoin d’un entre-deux, du basculement d’une époque vers une autre. Au centre : les habitants. Les usages sont encore intuitifs, on peut trouver des gens assis à même le bitume, des espaces de détente aménagés en haut d’un parking, des dalles fissurées, vestiges fragiles d’un temps bientôt effacé par la rénovation, mais aussi des nouvelles formes, plus végétalisées, portant une vision plus douce. Les habitants et visiteurs semblent s’approprier ces nouveaux espaces. J’ai donc photographié ces scènes à la fois uniques et intemporelles. Les espaces sont toujours des espaces en devenir aux usages en perpétuelle évolution.
- On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve (Lyon): Cette citation d’Héraclite incarne pour moi cette scène. Un jeune habitant du quartier contemple son propre environnement: cette barre, l’une des deux barres Zumbrunnen, à savoir les deux éléments paysagers caractéristiques de l’application des principes de Le Corbusier à Lyon. Il est assis sur une chaise appartenant un ensemble de détente aménagé sur le toit d’un parking (Parking Des Halles) lui aussi d’époque. Les chaises, les tables et l’ensemble végétalisé hors-champ semblent s’infiltrer dans le décor brut en béton. Tout comme le fleuve, les éléments urbanistiques changent perpétuellement et l’habitant se les approprie parfois sans même s’en rendre compte.
- La conquête spatiale (Lyon) : Il s’agit ici d’une conquête spatiale concrète et métaphorique. Comme un astronaute, cet homme ose défier l’immensité du vide et s’approprier un espace qui ne lui est pas destiné, à savoir des places de parkings. Métaphoriquement, il incarne une conquête des espaces tout-voiture de la Part-Dieu, en cours de piétonisation, notamment au niveau des toits du centre commercial.
- Imaginer, Refaire (Lyon) : Cette photo incarne une rupture visuelle nette entre deux mondes. L’un, idéale, est celui représenté par les panneaux de chantier, laissant entrevoir une biodiversité florissante, perdue par l’urbain et aujourd’hui réclamée par beaucoup. À l’arrière-plan, la machine rénovatrice en marche, rasant, transformant et rénovant encore une fois un espace qui aura changé d’aspects multiples fois dans son Histoire. L’homme, au téléphone, a l’air indifférent à cette évolution qui est permanente à la PartDieu depuis les années 50. Rénover, pourquoi pas, mais pour de bon ?
- Zizi Béton (Lyon) : Le titre reprend le surnom de Louis Pradel, maire de Lyon pendant la construction de la Part-Dieu et fer de lance des opérations d’urbanisme fonctionnaliste de la période (Perrache, projet de raser le Vieux Lyon pour installer une autoroute…). Le gris, les angles droits et les ombres découpent précisément l’image, avec une droiture typique de la période. Les barres métalliques jaunes apportent la certaine folie qui accompagnait l’esthétique kitsch du mode de vie à l’américaine importé dans les années 50.
- Une question d’échelle (Lyon) : L’air rêveur de cette personne actualise « Le voyageur contemplant une mer de nuages », dans un contexte urbain en mutation pénible. Des arbres en plots occupent l’espace en donnant une impression de disproportion avec l’homme accoudé. Est-ce lui qui est trop petit ? Les pots qui sont trop grands ? Il s’agit pourtant d’arbres, rien d’anormal. Peut-être devrions-nous plutôt nous poser la question suivante : Serait-ce notre regard qui n’est pas, lui, habitué ?