Comment lire les villes d’aujourd’hui ? Pour une part sans doute en revenant sur les bouleversements passés qui ont effacé bien des traces en leur substituant d’autres, qui ont marqué les différentes étapes des sociétés, y compris la page délicate de la colonisation. Les archives de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) explorent ainsi les opérations d’urbanisation qui se sont déroulées après la Seconde Guerre mondiale. Elles rapportent le projet de transformation et d’extension du tissu urbain dans toutes les villes, dans le périmètre métropolitain comme dans les territoires colonisés.
Les images de ces archives exposent les chantiers, les bâtiments neufs, l’idée martelée d’un confort amélioré. Les commentaires rappellent les ambitions inspirées par un hygiénisme encore dominant : de généreux espaces publics ; une spécialisation des fonctions urbaines qui se voulait au service des habitants ; des grands ensembles pour offrir les normes de confort au plus grand nombre. Mais les extraits oublient de souligner comment les villes modernes ont fragilisé le patrimoine et les populations. Les quartiers des habitants locaux étaient absolument distincts des quartiers des colons, si bien qu’il n’était plus même nécessaire de faire ce rappel.
Les séquences de films archivées méritent d’être exhumées, non seulement pour les images qu’elles recèlent mais pour les commentaires qui les accompagnent. Les unes et les autres créent une atmosphère surannée et nous transmettent sans fard les objectifs et les projets mis en œuvre après la seconde guerre mondiale.
C’est en particulier dans les grandes villes africaines que ces images sont les plus saisissantes. Dakar, composée de 320 000 habitants en 1955 (contre 1,146 million en 2013), en fait la magistrale démonstration. En effet, les deux extraits, diffusés en 1951 et 1955, montrent une ville en pleine transformation où se construisent des bâtiments de 10 à 12 étages et où poussent, tels des champignons, des villas et des pavillons aux formes simples (bulles ou parallélépipèdes), en ciment.
L’urbanisme entend changer le visage traditionnel et lui substituer un habitat moderne. Et le clivage est affirmée entre d’une part la tradition, dépassée, inutile, inadaptée aux enjeux de l’époque, et les techniques et matériaux en vogue. Mais nos yeux et nos oreilles ont de la mémoire. Nous savons les effets de la production du ciment ainsi que les fragilités des cubes bétonnés qui sont pourtant présentés comme des maisons durables et bien conditionnées. Et nous connaissons à l’inverse les vertus des matériaux traditionnels, l’ingéniosité des modes constructifs des anciens.
Quelle leçon commune comprendre de la part de modernité nichée dans la tradition ? Et quelle ambition que de chercher à construire enfin des logements adaptés aux habitants, au climat, au milieu, à la diversité, au lieu de réaliser à grande échelle des édifices sans attache et sans affect ?