Ousmane Sow, Directeur de l’agence urbaine du Grand Bamako et architecte-urbaniste, nous rappelle le contexte de Bamako avant de nous présenter la diversité des formes et la nécessaire transformation du domaine bâti, de préciser les champs d’actions de l’agence d’urbanisme pour tendre vers une ville décarbonée dont il nous donne sa définition puis enfin il nous évoque les limites de la planification urbaine au Mali.
-
Présentation du contexte de Bamako
La ville se trouve dans une cuvette donc elle donc la pollution peut y stagner plus facilement mais la végétation permet de l’amoindrir.
“Il y a des falaises qui sont tout autour de la ville, en tout cas la partie rive gauche du fleuve du Niger, qui culminent parfois à plus de 100 mètres de hauteur. Ceci rend la situation fragile car quand vous montez sur ces falaises-là le matin de bonne heure, vous voyez une brume qui s’étale sur l’ensemble de la ville. C’est synonyme de pollution parfois car l’air a du mal à sortir de cette cuvette-là. Au même moment c’est aussi une ville très végétalisée parce qu’au niveau de chaque concession vous avez en moyenne trois à quatre plantes qui sont, soit au bord de la route soit à l’intérieur (ex : manguiers). En tout cas, tout le monde plante ici à Bamako. C’est peut-être cela qui nous empêche de ressentir les effets néfastes de nos pratiques”.
La ville de Bamako croît sans limites et sortie de ses limites administratives, elle empiète sur les territoires des communes périphériques d’où la nécessaire mise en place d’une inter collectivité Grand Bamako afin notamment de préserver les forêts.
“Il y a déjà des forêts classées autour de Bamako et il y aura même des forêts artificielles qui seront créées pour pouvoir toujours embrasser cette notion de ville décarbonée. Nous nous sommes dit que si rien n’est fait et que si nous laissons cette tendance-là, on va avoir une ville tentaculaire où tout va coûter cher parce que les distances sont tellement énormes qu’apporter de l’eau potable et de l’électricité dans ces zones-là c’est des kilomètres et des kilomètres et in fine un coût insupportable. C’est pour cela que nous nous sommes dits qu’il faudrait que l’on stop cette croissance mais nous ne pouvions pas le faire avec les seules communes bamakoises, il fallait associer les communes de la périphérie pour qu’on convienne ensemble sur 20 ans (la durée d’un schéma directeur d’urbanisme) et pour les faire adhérer à l’idée qu’il faille maintenant aménager ensemble ce territoire-là. Puisque nous sommes désormais imbriqués les uns dans les autres il fallait réaliser un document consensuel de gestion de cet espace”.
Aujourd’hui c’est un échange informel en matière d’agriculture entre la campagne et la ville.
“Ce qui est sûr c’est que c’est la campagne aujourd’hui qui fournit la ville, car il n’y a pas d’espace en ville pour faire de l’agriculture qui se fait donc en campagne ou dans les communes périurbaines. La terre est très fertile, on a une hydrographie très abondante avec un grand fleuve qui traverse les villes de la plupart de ces communes du Grand Bamako qui sont situées sur ses rives. Alors pourquoi ne pas mettre tous ces atouts-là pour que la ville puisse nourrir la ville ?”.
L’énergie est produite à partir des énergies fossiles parce que Bamako est alimenté avec des groupes électrogènes de grande capacité. Donc il y a peu d’énergie propre dans la production d’énergie de Bamako même s’il y a du courant qui est transporté du barrage hydroélectrique de Manantali vers Bamako. La part de l’énergie dans le portefeuille du ménage est énorme.
Un des points forts de Bamako, c’est qu’il n’y a pas de ghetto.
“Les quartiers sont relativement mixtes donc votre voisin peut-être relativement riche. En fait il y a une mixité de fait qui est là, il n’y a pas des riches qui se détachent des autres qui construisent leur ghetto à part et s’enferme dans des zones résidentielles fermées”.
-
La diversité des formes bâties à Bamako
Le Mali a une âme architecturale universellement connue.
“Je fais allusion à Djenné, je fais allusion à Tombouctou. L’architecture de terre on en a. La génération avant nous a développé tout un savoir-faire dans cette architecture de terre. Mais nous architectes qui avons étudié ailleurs, nous n’avons pas pu faire cette transition entre notre culture locale et ce que nous avons appris dans les instituts d’architecture. C’est ça le drame”.
Il y a des bâtis traditionnels construits en terre qui résistent encore aux constructions en béton.
“Je parle des premiers quartiers de Bozola, de Médina-Coura et puis du Darsalam, qui sont les premiers quartiers qui se sont développés autour du quartier administratif créé par les colons. Tous ces bâtis-là sont en rez-de-chaussée, donc il n’y a même pas de R+1. Mais aujourd’hui ils sont en train d’être convoités par des promoteurs immobiliers parce qu’ils sont dans des zones où la plus-value est élevée. Ils les convoitent pour détruire ces bâtis-là et les remplacer par du béton avec un rez-de-chaussée commerce sous forme de bail. Donc on est en train de muter, c’est-à-dire d’abandonner complètement ces constructions en terre vers le béton parce que ce dernier ne nécessite pas d’entretien annuel contrairement à la maison en terre, dont il faut faire le crépissage à l’approche de chaque saison des pluies et c’est ce travail-là qui décourage les propriétaires des maisons en terre traditionnelle”.
Mais la majeure partie du bâti est privée et les gens se débrouillent comme ils peuvent pour construire, en une seule fois généralement et ils voudraient que ce soit en dur, c’est-à-dire en béton.
“Il y a un complexe qui est là, il faut construire en béton et mettre des climatiseurs dans chaque pièce, ça coûte énormément au budget familial et à l’environnement du fait notamment que le ciment est importé. La particularité du béton c’est que ça permet d’aller en hauteur et de plus en plus on voit des immeubles, surtout des immeubles de bureaux en R+5 / R+8 apparaître dans la ville mais également des immeubles à appartements résidentiels 5+3 / R+4 qui prolifèrent partout”.
Les logements sociaux que l’État construit, ce sont des logements en pied à terre donc en rez–de–chaussée uniquement et même là c’est du béton.
“Un des créneaux pour faire de la sensibilisation, c’est de rapprocher le Ministère de l’urbanisme qui est porteur du projet de logements sociaux et de dire que tout le savoir est là pour construire en terre, ainsi pourquoi est-ce que vous qui réglementez le secteur du bâti et de l’urbanisme, vous ne donneriez pas l’exemple ? Ce qui est le plus intéressant c’est de revenir aux matériaux classiques que nous avons ici à Bamako, donc la construction en terre. Il y a un complexe qui est là. Tous ceux qui construisent dans ce matériau–là sont considérés comme des pauvres, pourtant le confort y ait parce qu’on n’a pas besoin de climatiser”.
Il y a enfin le modèle des entreprises chinoises qui défit toute concurrence dans la zone Afrique Subsaharienne.
“C’est des bailleurs de fonds qui investissent dans des équipements assez onéreux. Ils les exploitent et puis ils remettent au bénéficiaire, la collectivités par exemple, après X années d’exploitation. C’est ce modèle-là que le Président du Grand Bamako envisage pour la réalisation de deux projets d’hôpitaux à travers un opérateur économique qui dans son portefeuille a des entreprises chinoises intéressées par un tel projet”.
-
La nécessaire transformation du domaine bâti à Bamako
Selon lui, il faut faire évoluer cette mentalité–là, par la sensibilisation, les débats et le partage d’expériences et de solutions qui respectent le développement durable.
“C’est cette campagne–là de communication, qui pour l’instant n’est menée par personne, ni les ONG, ni la société civile, ni l’État. En fait ce n’est pas aussi cher de rénover les bâtiments afin de respecter l’environnement. En montrant des solutions faciles qui ont été faites ici et là de façon palpable, on peut faire changer les mentalités. Si les habitants n’ont pas d’informations là-dessus, ils ne savent pas que des solutions faciles et naturelles existent et ainsi ils ne pourront jamais aller dans cette direction-là. Il faut un facilitateur et un animateur du débat pour que cela prenne et qui peut être l’Agence d’Urbanisme avec le concours des partenaires avec qui nous réalisons cette campagne de communication à partir de janvier 2023, en espérant que cela aura des impacts pour que l’on puisse commencer à inverser la tendance”.
Pour lui, l’un des défis majeurs de la transformation du domaine bâti dans les villes décarbonées, c’est de revenir aux circuits courts, à l’économie circulaire et aux matériaux traditionnels et de reconnaître notamment l’architecture traditionnelle et le bâti ancien.
“Trop souvent l’architecture ancienne est reléguée au second plan au profit des constructions internationales en béton, en verre et en acier avec des matériaux importés très couteux et très peu adaptés au contexte local. Or il devient utile de trouver des solutions de compromis, structure en béton et matériaux traditionnels bien souvent naturels et décarbonés. Il convient donc de manière urgente de changer les mentalités et de sensibiliser rapidement les habitants et parties prenantes de la construction, aux façons traditionnelles de construire, notamment en terre, ce que fait l’Agence urbaine du grand Bamako pour animer le débat public sur la question spécifique de la part de l’habitat sur les questions de durabilité”.
-
Sa vision de la ville décarbonée
Pour Ousmane Sow : “La ville décarbonée c’est une ville qui :
-
- travaille en sort à baisser le taux de carbone dans l’air et dans l’espace habité, c’est-à-dire tout ce qui concourt à diminuer la production du dioxyde de carbone (CO2), à commercer par l’âge des véhicules,
- donne la priorité au développement d’un écosystème naturel, c’est-à-dire, où le bâti a sa place, les forêts ont leur place, la végétation a sa place, tout ceci dans une cohabitation intelligente pour que chaque espèce puisse avoir sa contribution au développement de cet écosystème-là,
- promeut l’agriculture dans les périphéries ou même au sein de la ville, pourquoi pas sur les toits des bâtiments puisqu’ils sont en béton,
- sort de l’idée que toutes les terres sont constructibles : en construisant tout azimut, on oublie qu’on est en train non seulement de changer la morphologie du sol mais avec tous les organismes vivants qui sont dans ce sol-là sous une couche de 30 à 50 cm,
- gère le traitement des eaux usées par voie naturelle à travers des plantes ou des systèmes de lagunage par exemple,
- corrige l’impact négatif de l’homme sur l’environnement.
-
Le rôle de l’Agence urbaine du Grand Bamako pour tendre vers une ville décarbonée
Le “Grand Bamako” est un projet de métropole monté en 2018 (une intercommunalité de 25 communes) dans le cadre duquel l’Agence d’Urbanisme, baptisée “Agence Urbaine du Grand Bamako” participe auprès d’ONU Habitat aux grandes rencontres internationales telles que les forums mondiaux et les ateliers sur les relations villes-campagnes.
“C’est une entité qui relève des collectivités territoriales, qui peut dire que nous sommes en train d’aller dans le sens contraire et qu’il faudrait changer le cap dès maintenant”.
C’est dans le plan d’action mené par l’Agence urbaine du Grand Bamako, qui débute en janvier 2023, d’organiser :
-
- 3 débats publics, prioritairement accès sur les objectifs de développement durable, de manière à pouvoir infléchir sur les tendances de construction. Sur des thématiques spécialisées, sont invités experts, architectes, urbanistes et tout le corps du métier sur des questions spécifiques telle que la part de l’habitat dans ce problème environnemental. A l’issue des débats, un cahier des recommandations est remis aux décideurs.
- 1 biennale d’architecture et d’urbanisme, qui va fixer des thématiques sur 2 ans sur lesquelles les écoles d’architecture et les pratiquants architectes vont travailler. Il y aura des prix à la clef pour les meilleurs qui seraient élus à la fin de ce processus de 2 ans et une exposition.
- 3 débats publics, prioritairement accès sur les objectifs de développement durable, de manière à pouvoir infléchir sur les tendances de construction. Sur des thématiques spécialisées, sont invités experts, architectes, urbanistes et tout le corps du métier sur des questions spécifiques telle que la part de l’habitat dans ce problème environnemental. A l’issue des débats, un cahier des recommandations est remis aux décideurs.
Par ailleurs, dans le plan décennal d’investissement adopté par l’intercommunalité du Grand Bamako, différents projets sont prévus :
-
- un projet de 10 centrales solaires dans 10 communes du Grand Bamako, de manière à, non seulement donné de l’énergie à ces communes-là, mais de surproduire afin de venir en aide aux circuits de la métropole c’est-à-dire de Bamako. Ce projet–là va faire l’objet d’une table ronde de bailleurs de fonds qui pourraient être intéressés par réaliser, exploiter et remettre à la collectivité après la fin de la convention,
- le programme “Villes sans Bidonvilles” mené dans le cadre de la résolution de l’ONU sur les relations villes-campagnes adoptée en 2019. Le Grand Bamako travaille en collaboration avec ONU Habitat, puisque l’intercommunalité de Bamako s’inscrit dans cette relation ville-campagne. ONU Habitat a mis en place un financement avec la coopération andalousienne pour faire une étude sur les relations villes-campagnes au niveau du Grand Bamako mais également pour rédiger un guide qui permettrait de dupliquer la démarche du Grand Bamako ailleurs dans le pays voir même à l’international,
- un programme qui prévoit un périmètre maraicher et un périmètre irrigué dans chacune des 25 communes avec une irrigation pour permettre la production en toutes saisons. Ce projet s’élève à 4 milliards de Francs CFA. Ce projet–là n’est pas en dehors du pouvoir des autorités locales. L’idée c’est de favoriser aussi les circuits courts,
- un projet hydraulique rural. Il y a 247 villages dans le Grand Bamako, donc le projet est de créé 247 forages avec un château d’eau et une bonne fontaine pour d’une part apporter un point d’eau potable aux populations de ces communes-là et d’autre part, utiliser la qualité de l’eau pour le maraichage et pour l’agriculture urbaine,
- l’aménagement d’une place publique verte sur chacune des communes du Grand Bamako pour donner un poumon vert aux communes mais aussi pour créer une cohésion sociale et tisser des liens entre les différentes couches de la population : jeunes, moins jeunes, anciens….
Ce plan décennal d’investissement doit être validé par le schéma directeur d’urbanisme du Grand Bamako parce que c’est cet outil–là qui fait foi et qui a force de loi car il est adopté en Conseil des Ministres.
“Donc ces propositions seront remises au bureau d’études ou au consortium qui aura la charge d’élaborer ce schéma directeur d’urbanisme du Grand Bamako et ensuite va fixer toutes les fonctions y compris celles énumérées ci-dessus. On va s’inspirer de la démarche du Grand Bamako pour influer sur l’élaboration de la politique nationale urbaine du Mali, qui est a révisée maintenant parce qu’elle est devenue caduque depuis 2 ans”.
Au niveau de la ville de Bamako, il y a des réflexions en cours pour aller vers l’élaboration d’un plan climat.
“On est dans des réflexions, ce plan n’est pas encore disponible. Il y a eu des analyses et des mesures qui ont été prises. Nous avons des conclusions de ces analyses-là mais pour l’instant on est à ce niveau-là”.
-
Les limites de la planification urbaine au Mali
Il existe une panoplie de textes réglementaires non respectés à Bamako.
“Le premier exemple que je peux vous donner c’est qu’on a d’abord un schéma directeur d’urbanisme d’une ville mais à peine valider on fait tout à fait le contraire de ce qui est validé dans ce document-là”.
Ensuite se pose la question de la rémunération des élus locaux au Mali.
“Les élus locaux au Mali, ne sont pas rémunérés, il n’y a pas de salaire, c’est donc du travail bénévolat mais ils ont des primes de cession. Connaissant la demande sociale sur ces élus locaux et du fait que les élus veulent se faire distinguer, ils se donnent à des pratiques de lotissements pour pouvoir gagner de l’argent. Si on prévoit 5 hectares de logements dans le Schéma Directeur, ils y vont à 50 hectares au détriment des autres fonctions. Puisqu’il n’y a pas de suivi de l’État pour l’application des directives de ce schéma directeur d’urbanisme et bien ils y vont par tous les moyens. Finalement tout ce qui était réservé pour la forêt ou autres fonctions, est consacré à faire des parcelles habitables car c’est là que ça rapporte. On fait des lotissements, on vend, le maire empoche sa part”.