Le rapport de Rachel Khan à la francophonie est double, c’est d’abord une langue et ensuite une organisation mondiale. Elle définit la langue française comme la langue de ses émotions, une langue charnelle et créative qu’elle associe au sport et à la danse chorégraphiée mais aussi la langue de la réparation, car elle incarne les souffrances passées.
Selon elle, la langue française permet d’entrer dans ce dialogue en harmonie avec les différents accents du monde, qu’elle a la chance d’entendre dans sa famille et qui construisent son identité. Née en France, le français est sa langue maternelle mais c’est, en réalité, le fruit du rapport de son père à la lecture de la langue française.
“J’ai une filiation Sénégal-Gambie du côté de mon père mais aussi ethnique, car mon père est de l’ethnie de Senghor, donc le lien avec la francophonie est extrêmement fort. La langue française, même si c’est ma langue maternelle puisque je suis née en France, c’est malgré tout le récit vraiment de mon père, c’est–à–dire de la Sénégambie. Mon père à un rapport à la langue qu’il m’a transmis et au fond ma langue maternelle, je peux considérer que c’est ma langue paternelle. Je n’ai pas plusieurs identités, j’ai une signature avec laquelle j’essaye de découvrir plusieurs aspects au jour le jour. Cette identité n’est pas une figée, c’est une identité que j’appréhende dans un mouvement“.
C’est la langue avec laquelle elle écrit aujourd’hui car elle est riche et singulière à la fois et permet l’enrichissement des humanités et de la pensée :
“Quand on comprend ce qu’est la liberté, la liberté d’expression et la liberté de création et bien ça permet de se dessiner aussi plusieurs récits et c’est ce que j’essaye de faire au quotidien. C’est comme ça que je travaille notamment dans l’écriture avec ces différents accents. Je les ai appris dans ma famille ces différents accents d’Afrique, d’Europe, d’Amérique du Nord aussi car j’ai certains membres de ma famille qui habitent à Québec”.
Voici sa définition de la francophonie :
“La francophonie a été créée pour sortir d’un K-O et pour sortir de douleurs passées. La créolisation, c’est comment on fait pour s’ouvrir aux autres grâce à cette chance d’avoir la même langue, dans différentes villes et dans différents pays, et d’arriver à se comprendre dans ce dialogue-là et grâce à ce lien, de lieux à lieux, on peut retisser quelque chose qui recoud nos humanités”.
Pour Rachel Khan, on est dans l’universalité de notre complexité à travers cette langue française et pas du tout dans la mondialisation.
“On a une langue qui circule, avec laquelle on peut se comprendre mais avec une singularité propre dans chaque ville à travers le monde. Et c’est ce qui enrichit nos humanités, c’est-à-dire que c’est une langue qui élargit à chaque fois la pensée et notamment quand on se retrouve dans des villes extrêmement différentes. Elle pousse toujours à la réflexion à travers la langue mais autrement, en fonction du sol où on est. C’est une langue qui raconte quelque chose de politique, d’ouverture et effectivement je trouve que les villes francophones doivent travailler sur cette ouverture-là”.
Selon elle, l’universalisme c’est mettre l’humain au centre notamment dans les projets d’aménagement du territoire.
“Remettre le désir au centre de la ville, c’est pour moi fondamental parce que le désir, c’est ce qui permet le mouvement, c’est ce qui permet la circulation, c’est ce qui permet la respiration et c’est ce qui permet la vie au fond. Lorsque chacun sera en responsabilité par rapport à l’universel chacun pourra participer à ce projet universel. Cela renvoie à cette manière d’appréhender l’aménagement du territoire et l’individu, avec au cœur le patrimoine de cette langue qui renvoie à des questions de liberté, d’égalité, de fraternité, de dialogue, de rencontre et d’équilibre. C’est une langue complexe mais c’est une langue assez équilibrée au fond et qui dans l’urbanité se perçoit : espaces verts, densité, espaces périurbains, espaces agricoles…”.
Elle considère qu’il faut garder le fait que les discours ne soient pas tous les mêmes et qu’il faut à travailler les singularités intimes et les singularités de ce que les personnes ont à apporter pour à cet universalisme-là.
“C’est très important de permettre les différences. Pour moi, les frontières par exemple sont importantes car elles vont créer le désir d’aller vers l’autre, cette séparation qui vous donne envie. Si on a plus des espaces intimes, si notre espace est heurté, on n’a pas forcément envie d’aller vers l’autre. Je pense que dans la ville et au niveau mondial, c’est la même chose”.
La particularité de la langue française est d’avoir des mots qui signifient plusieurs choses à la fois et les récits français illustrent selon elle parfaitement cette langue :
“La langue et les mots de la langue française, avec la multitude de définitions qu’ils ont, c’est quand même une singularité mais aussi une particularité qui est complexe pour les gens qui ne parlent pas français, c’est d’avoir des mots qui signifient plusieurs choses à la fois”.
Elle associe le récit des romans, les récits de nos vies et les récits des villes francophones, comme étant en résonance avec cette complexité.
“Je trouve que nos récits français illustrent parfaitement cette langue, c’est-à-dire qu’ils sont à la fois singuliers tout comme nos viles françaises et nos villes francophones qui le sont encore plus à travers le monde. Entre les récits des romans, les récits de nos vies et les récits des villes, il y a une forme de résonance de cette complexité-là”.
Il appartient aux Maires d’agir sur l’étymologie des quartiers pour préserver le patrimoine et éviter les quiproquos relatifs aux appellations.
“Je trouve que l’on pourrait peut–être agir sur l’étymologie des quartiers, ce que cela signifie en français mais aussi dans l’histoire mondiale parce que bien souvent, on a des quartiers qui ont des histoires internationales, qui se retrouvent dans un mot en français. Donc, à mon avis, les Maires pourraient porter ce patrimoine de la langue, de leur quartier, des noms, des lieux–dits pour qu’on puisse mieux comprendre ceux qu’ils signifient en français. Tout cela militerait justement pour une meilleure compréhension du monde et surtout pour qu’il n’y ait pas de quiproquos. Le français peut amener, si l’on n’a pas le mot juste, à des quiproquos mais la ville peut faire en sorte qu’il y en est de moins en moins dans les appellations”.
L’autre conseil qu’elle donnerait aux Maires, c’est de soutenir véritablement la prise de risque artistique.
“Un artiste se met forcément en danger tout comme un projet d’aménagement du territoire. Au fond un artiste comme une ville, ce n’est pas du copier-coller, et l’un comme l’autre ont cette fragilité-là, de travailler sur des champs inexplorés. La spécificité en France, voire même au niveau européen, c’est l’exception culturelle, le fait que les artistes peuvent être soutenus par les collectivités territoriales, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays. Je pense qu’il faut valoriser non pas les dispositifs artistiques mais parfois les projets artistiques plus singuliers qui vont vers la prise de risque“.
Enfin, elle aurait un dernier conseil relatifs aux jumelages.
“J’adorerai qu’au niveau des jumelages, on puisse accélérer les choses pour que les voyages puissent se faire notamment des pays européens vers l’Afrique afin qu’il y ait cette résonance et cette connaissance de ce qui peut se passer ailleurs qu’en Europe”.