Réparer les dégâts d’Hier – Limbé (Cameroun)

L’AIMF (Association Internationale des Maires Francophones), en partenariat avec le réseau APERAU (Association pour la Promotion de l’Enseignement et de la Recherche en Aménagement et Urbanisme) a lancé au travers de l’initiative Urbanisme en Francophonie, un Appel à projets “Quelles formes prendront les villes en 2050 ?”, dans le cadre de la Conférence internationale « Le réenchantement des villes : Urbanisme en Francophonie, horizon 2050 », organisée les 2 et 3 octobre 2024, en amont du Sommet de la Francophonie.

Lauréat de l’Appel à projets des Jeunes Ambassadeurs Francophones : “Quelles formes prendront les villes en 2050 ?”, l’équipe de l’École Africaine des Métiers de l’Architecture et de l’Urbanisme (EAMAU), composée de Mohamed VESSAH, Jules Osy WATO, Amaël Christ-Alex DJANDJI, Dylan Bryan NDETIO SAA et encadrée par Dr. Monica CORALLI (Architecte Urbaniste, Dr en Géographie, aménagement de l’espace), nous présente son poster intitulé : “Réparer les dégâts d’Hier – Limbé (Cameroun)”.

Contexte

À la veille des Accords de Paris (2015), le Cameroun, encore appelée « Afrique en miniature » de par ses énormes potentialités naturelles, s’est doté de son tout premier PNACC (Plan National d’Adaptation aux Changements Climatiques). L’objectif de ce dernier est de réduire la vulnérabilité des villes face aux effets des changements climatiques, augmenter leur résilience et les capacités d’adaptation pour créer de nouvelles opportunités pour les Camerounais. Ce désir d’adaptation aux effets des changements climatiques est d’autant plus urgent au regard des différentes catastrophes naturelles qui ont frappé les villes camerounaises pendant cette dernière décennie. A Douala par exemple, capitale économique du Cameroun où les inondations sont récurrentes, la situation est très alarmante. Selon les estimations, 65% de la population seraient susceptibles d’être affectées par ce phénomène. Entre 1993 et 2015, plus de 300 inondations ont été enregistrées et chaque année le nombre augmente. Dans les années 1980, les submersions étaient en moyenne 5 par an. Depuis le début des années 2000, elles sont passées à une moyenne de 8 par an (Mounde, 2017).

A l’instar de Douala, plusieurs autres villes souffrent de cette vulnérabilité aux changements climatiques et sont victimes de catastrophes telles que : les éboulements, les glissements de terrain, la sécheresse, les inondations, etc. Au-delà de ces aléas climatiques, le pays fait malheureusement face à la crise sécuritaire, ce qui renforce le sentiment de vulnérabilité des populations urbaines. En particulier, celles des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest Cameroun, épicentre de la crise anglophone, sont les plus touchées. Cette crise a entraîné environ 6 000 décès et plus de
800 000 personnes déplacées (ICG, 2018). La ville balnéaire de Limbé en soufre également.

Source : Plan de situation

Limbé, ville côtière et touristique du Sud-Ouest du Cameroun, avec une population estimée en 2024 à plus de 200 000 habitants (PDU, 2009), a été particulièrement affectée par les changements climatiques ces deux dernières décennies. Elle est le théâtre de précipitations intenses, de températures élevées, ainsi que de catastrophes naturelles comme les éboulements, les inondations, l’érosion côtière et les éruptions volcaniques. Selon Andin (2012) et la Communauté Urbaine de Limbé (2001), ces événements ont provoqué le décès d’environ 130 personnes, le déplacement de 400 ménages et la destruction de presque1500 bâtiments entre 1990 et 2023.

Parallèlement, la ville fait face à une insécurité permanente due aux conflits armés dans la région anglophone depuis 2016, accueillant de nombreux déplacés de guerre qui s’installent souvent dans des zones à risque. Par ailleurs, pour atténuer les impacts des changements climatiques, la population de Limbé a mis en place des comités de gestion des catastrophes et développé des pratiques traditionnelles de surveillance des risques, comme l’installation de balises vertes. Pour sa part, la municipalité dans le cadre du projet Limbé urban-forestry a pour objectif de faire de Limbé une ville de transition verte résiliente aux changements climatiques ayant pour slogan Limbé Green Transition.

Enjeux

  • Déforestation due à l’utilisation du bois pour la fabrication de pirogues et fumage du poisson, vulnérabilité aux catastrophes, étalement urbain et prolifération des dépotoirs sauvages,
  • Consommation excessive des espaces naturels en périphérie (100 ha/an) en raison de l’étalement urbain,
  • Persistance d’un traumatisme social en raison des conflits armés de 2016 (crise anglophone) causant plus de 6 000 morts (International Crisis Group, 2018) et afflux massif de réfugiés dans les zones les plus vulnérables,
  • Effet conjoint de la crise anglophone et de la vulnérabilité aux catastrophes naturelles provoquant une baisse de l’attrait touristique de la ville,
  • Prolifération des dépotoirs sauvages en raison de l’inefficacité du système de collecte des déchets, qui affiche un taux de collecte de 60 % et un taux de valorisation de 5 %,
  • Surutilisation du béton comme principal matériau de construction et existence des techniques locales de construction résistantes aux inondations,
  • Non-respect de la réglementation de l’occupation spatiale, avec un coefficient d’emprise au sol très élevé (90%).

Données clés

  • Modes de déplacement : 71% des déplacements se font par des modes actifs,
  • Précipitations moyennes annuelles : 3251,5 mm/an,
  • Température moyenne annuelle : 26,2°C,
  • Émission de GES en 2024 : 440 000 tCO2éq.

Descriptif du projet

Sur la base des enjeux sociétaux identifiés, la vision du projet a été articulée comme suit : « Faire de Limbé une ville bas-carbone, résiliente aux changements climatiques, accueillante et capable de capter et stocker 45 % de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 ». Afin de concrétiser cette vision, un ensemble de 17 actions, principalement axées sur des solutions fondées sur la nature, a été défini pour relever les défis climatiques dans la ville. Ces actions s’organisent autour de quatre axes stratégiques :

1. Réduire efficacement l’empreinte carbone

  • Réorganisation du système de gestion des déchets, visant à augmenter le taux de collecte de 60 % en 2024 à 99 % d’ici 2050 grâce à la mise en œuvre d’une précollecte porte-à-porte, au tri à la source et à l’aménagement d’une nouvelle décharge. En outre, le taux de valorisation devrait passer de 5 % à 85 % d’ici 2050, en favorisant le compostage (déchets organiques) et la pyrolyse (plastiques).
  • Utilisation des foyers améliorés pour réduire la consommation du bois,
  • Aménagement d’un parcours piétonnier reliant le centre-ville à la zone côtière,
  • Aménagement d’un réseau urbain de pistes cyclables,
  • Végétalisation des axes structurants et aménagement des noues végétalisées.

Source : Profil des axes structurants

2. Protéger et restaurer les milieux naturels

  • Augmentation de la couverture forestière à l’intérieur des bassins versant,
  • Aménagement de deux bassins végétalisés à double fonction : les bassins végétalisés près des
    cours d’eau jouent un rôle clé en tant qu’espaces multifonctionnels. En période pluvieuse, ils facilitent l’infiltration des eaux, contribuant à la gestion des crues. En période sèche, ces bassins peuvent être aménagés pour servir de zones de loisirs, tout en offrant des espaces pour la culture agricole. Cette dualité d’usage permet non seulement de maximiser les bénéfices environnementaux, mais aussi d’encourager une utilisation communautaire et productive de ces espaces.

Source : Bassins végétalisés à double fonction

  • Création d’un parc urbain : le parc urbain aménagé dans une zone sujette aux inondations a un effet social bénéfique en rehaussant la qualité de vie des habitants. Il offre un lieu de détente et de socialisation, tout en renforçant les liens communautaires. D’un point de vue environnemental, il aide à atténuer les risques d’inondation en permettant à la végétation et aux sols perméables d’absorber les eaux de pluie. De plus, il favorise la biodiversité et la résilience écologique en restaurant les écosystèmes naturels.

Source : Parc urbain

 

Source : Profil du parc urbain

  • Aménagement des espaces verts de proximité,
  • Aménagement d’une bande plantée d’arbres le long des cours d’eau,
  • Aménagement d’une ceinture verte : La ceinture verte constitue une barrière efficace contre la chaleur, la poussière et les pollutions atmosphériques. Elle contribue également à freiner l’expansion des constructions dans les zones à risque. Elle englobe des zones boisées, des espaces de loisirs, ainsi que des zones dédiées à la production agricole.

Source : Ceinture verte

Source : Profil de la ceinture verte

  • Création d’une lisière humide entre la zone côtière et l’océan.

3. Mettre en place des mesures de prévention et d’adaptation aux catastrophes naturelles

  • Mobilisation des acteurs pour la cartographie des zones à haut risque et actualisation des règlements,
  • Utilisation de technologies avancées pour surveiller et prévenir les catastrophes,
  • Élaboration d’un plan d’Organisation des Secours en cas de Catastrophes (ORSEC) et d’une politique sensible au genre.

4. Renforcer les compétences des acteurs locaux

  • Formation des acteurs,
  • Sensibilisation de la population pour une meilleure appropriation du projet.

Les actions envisagées permettront de diminuer la température moyenne de 0,92 °C et d’accroître la capacité des puits de carbone d’environ 19 545 tCO2éq d’ici 2050. En s’appuyant essentiellement sur des solutions fondées sur la nature, ce projet utilise la puissance des écosystèmes naturels de Limbé pour faire face aux aléas climatiques tels que les inondations, les éboulements de terrain, l’érosion côtière, les éruptions volcaniques et la hausse des températures.

© Crédit Photo : William Gouzien (Remise des prix à la Conférence Internationale Urbanisme en Francophonie)

2 octobre 2024

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