Sénamé KOFFI, architecte et anthropologue togolais

Réalisés avec différentes personnalités francophones (écrivains, intellectuels, acteurs de la fabrique de la ville, artistes…), les entretiens Urbanisme en Francophonie interrogent le lien entre urbanisme et francophonie pour faire ressortir les spécificités des villes francophones et leur apport pour construire la cité de demain. A la fin de chacun d’eux, nous découvrirons une nouvelle carte postale de l’espace francophone proposée par l’interviewé.

Ressources documentaires

Architecte, anthropologue togolais, entrepreneur et fondateur de L’Africaine d’architecture / HubCity – WoeLab

🇹🇬 Architecte, anthropologue togolais, entrepreneur et fondateur de L’Africaine d’architecture / HubCity – WoeLab, Sénamé KOFFI nous fait part de sa vision de la modernité en pleine mutation et de la place de l’Afrique dans les bouleversements urbains.

L’anthropologie lui donne un accès direct à la complexité des sociétés, partout où qu’elles se soient déployées sur la terre et plus singulièrement en Afrique car c’était globalement et aussi spécifiquement dans le cas de certaines populations, son terrain d’études. Cette complexité l’architecture n’en est que la cristallisation. Selon lui, on a basculé dans un processus de métropolisation générale. Il faut considérer que l’humanité entière sera urbaine à une échéance relativement proche.

“S’intéresser à l’urbanisme, c’est juste s’intéresser au sort du monde”.

1. Entretien version courte

  • Quel est votre rapport à la francophonie ? (0:14)

Sénamé KOFFI nous fait part de son désir de ne pas être dépendant des archives française.

« Moi je suis un pur produit français parce que j’ai fait mes études ici et le corpus que je mobilise, les ressources et les archives sont essentiellement en français, même si ce qui caractérise peut-être mon approche, c’est ce désir de ne pas être uniquement dépendant d’archives françaises et d’être ouvert à toutes les archives du monde. Mais de fait, les archives sont quand même en langue française, c’est celles qui me sont les plus accessibles ».

  • Quelles villes francophones avez-vous rencontrées ? Quelles émotions vous ont-elles laissées ? (0:49)

Voici ces quelques mots sur l’émotion en découvrant Saint-Louis (Sénagal).

« Je suis passé par un certain nombre de villes francophones assez diverses, dès fois même très opposées les unes des autres. Quand j’en parle, il y a Saint-Louis qui revient fortement, je ne sais pas pourquoi. J’ai visité de nuit, c’était assez vite. Il y avait quelque chose beaucoup du lieu dont on part, peut-être parce qu’il y a le port, etc. Je vois beaucoup de blanc mais du blanc en architecture. C’est ce qui émerge comme ça sur le coup ».

  • Observez-vous des points communs, ou des différences, entre les villes francophones et non francophones ? (1:44)

Selon lui, la langue est la chaire de l’imaginaire et l’espace francophone invite à la flânerie.

« La question est très intéressante, je pense que la langue c’est la chaire de l’imaginaire, partout où elle est partagée il y a forcément quelque chose dans l’espace qui se produit, je n’arrive pas à saisir précisément ce qui se passe dans les villes francophones mais je suis persuadé qu’il y a forcément quelque chose de moins automatiquement, pratique, utile, marchand, certainement que dans des espaces un peu plus anglophones. Peut-être aussi quelque chose d’un peu moins utile, qui flâne dans les villes francophones.  La langue, de fait structure l’espace de façon non spatial, c’est-à-dire que vous arrivez dans un environnement, vous êtes accueillis en français, vous êtes mis dans des dispositions différentes que si vous êtes accueilli dans une autre lange, donc oui il y a quelque chose de l’urbanité francophone. Elle n’est peut-être pas à chercher directement dans l’espace mais dans les dispositions dans lesquelles ces lieux vous mettent, parce qu’elles sont travaillées dans cette langue-là en particulier ».

  • Pourriez-vous nous décrire les concepts de ville intelligente et de ville durable ? (3:23)

Selon lui, l’Afrique doit prendre rapidement une position sur le concept de ville intelligente.

« Bon la ville intelligente, je ne m’autorise pas à la redéfinir, je trouve qu’il y a une espèce de frénésie à la mettre à toutes les sauces, ce qui ajoute au brouillage et donc qui favorise le déploiement de ce concept. N’étant plus très directement définie et reconnaissable, on ne peut pas en isoler la toxicité. Donc moi j’en reste à la définition, on va dire classique de la smart city, c’est de la ville qui est travaillée par les nouvelles technologies, essentiellement par les technologies du digital. C’est ce que moi j’appelle ville intelligente et c’est ce que j’essaye d’adresser depuis l’Afrique en considérant que la dynamique du digital, elle est prise en main par le marché, c’est de chercher le nombre et que le nombre étant du côté de l’Afrique, cette question de la smart city, va plutôt se jouer sur le continent africain. L’Afrique devrait donc très rapidement prendre position sur cette question de ville intelligente ».

Par ailleurs, il a l’impression que la ville durable est abordée de façon technicienne.

« Pour la ville durable, j’ai l’impression qu’elle est abordée de façon très technicienne, comme beaucoup de sujet en urbanisme depuis l’Occident même. C’est un des problèmes de la question urbaine, c’est que l’on en fait un sujet technique, alors que c’est aussi un sujet culturel et donc j’essaye de déblayer un peu les pistes pour que l’on aborde le durable par des détours qui seraient un peu plus de l’imaginaire, pour voir comment d’autres champs de savoirs, d’autres ordres, d’autres épistémès, peuvent aider à mieux atteindre cette ambition du durable. En faisant un détour là-aussi par l’Afrique, pour ne donner qu’un exemple,  je sais par exemple qu’un peu partout en Afrique on dit que la maison appartient aussi à ceux qu’on a pas encore rencontrés, pour dire qu’on ne fait pas maison que pour ceux qui sont là aujourd’hui mais aussi pour les générations futures. Ce qu’on sous-entend c’est l’idée d’un contrat intergénérationnel, ce qui me semble être la meilleure définition de la notion de durabilité, c’est une approche un peu plus détournée, un peu plus féconde de la question de la durabilité qui est proposée par exemple dans cette vision du monde ».

  • Comment votre double formation d’anthropologue et d’architecte vous permet-elle d’aller à la rencontre des villes ? (6:16)

Il oppose les sociétés traditionnelles et organiques aux sociétés moderne.

« Alors là aussi je pars d’un biais, je suis biaisé dans la démarche car je pose un apriori qui est de dire qu’il y aurait dans les structures traditionnelles, des visions du monde de sociétés un peu plus organicistes que j’oppose aux sociétés “modernes”, un certain nombre de leçons qui peuvent nous servir pour adresser les problèmes de notre temps. Je pars de là, c’est cet apriori qui me mobilise dans ma tentation de vouloir régler les problèmes de la ville. A partir de là, je suis obligée de savoir ce dont je parle et d’aller regarder du côté de ces sociétés pour vérifier cette hypothèse. Effectivement, de façon assez constante, j’arrive à construire quelque chose de cohérent, qui valide cette hypothèse qu’il faudrait aller regarder du côté des sociétés que j’appelle organiques, qui avaient réussi à des échelles, certes un peu moindre à produire de la cohérence pour reproposer quelque chose aujourd’hui, dont l’enjeu serait juste de mettre à l’échelle pour qu’il puisse être utile à la ville ».

  • En quoi l’architecture vernaculaire peut-elle répondre aux enjeux écologiques actuels ? (7:53)

Selon lui, l’architecture vernaculaire peut-être vue comme solution aux défis rencontrés.

« L’architecture vernaculaire c’est la projection au sol des structures sociales d’où l’intérêt à l’anthropologie. Si vous ne connaissez pas les structures sociales, vous ne maîtrisez pas les subtilités des systèmes politiques, de la parenté, de la production matérielle, etc (tout ce qu’on explore à l’anthropologie), vous saisissez une architecture d’une société située que dans les apparences, vous avez accès qu’à du folklore. Mais quand vous avez cette autre porte d’entrée, que Claude Lévi-Strauss (anthropologue) appelle “saisir les choses par derrière”, vous comprenez tout de suite un peu mieux la complexité de ces projections-là, que sont les architectures vernaculaires. La leçon qu’elle nous propose, c’est que ce qui est cristallisé dans l’architecture, c’est la meilleure réponse possible à des modes de vie, qui sont pensés pour ne pas être en conflit avec ce qui les dépasse. La structure sociale devrait pouvoir tisser idéalement avec la structure biosphérique. Ces installations généralement, ne sont pas en conflit avec leur cadre de vie. Le village n’est jamais en guerre avec la brousse.  Ce n’est même pas l’opposé de la brousse le village, le village n’est pas certes de la brousse, mais il y a de la brousse dans le village, il y a du village dans la brousse. Il y a tout un tas de médiation pour que l’ensemble fonctionne de manière cohérente. Avec le basculement à la ville, pour faire très schématique, on a perdu cette chose qui était verrouillée dans le paradigme de ces sociétés un peu plus cosmogoniques. On a basculé dans une nouvelle forme de paradigme, qu’on pourrait appeler le paradigme moderne, qui lui n’est pas attentif à ces subtilités, à ces relations et ces liens, qui même selon mon point de vue est construit sur la désagrégation et la dé-liaison. Pour régler le problème moderne, en envisageant la modernité comme un processus de dé-liaison (toute une philosophie de la séparation), il faut remettre du lien, il faut remettre de la liane et des modèles existent qui sont ces modèles vernaculaires ».

  • Selon vous, comment les Maires peuvent-ils remettre du lien sur leur territoire ? (10:37)

Selon Sénamé, le meilleur allié des Maires aujourd’hui c’est le digital.

« Ma proposition est beaucoup plus radicale, je propose qu’on change de paradigme et qu’on prenne acte que le paradigme moderne échoue à produire des sociétés cohérentes… Dans cette configuration-là, il faudrait voir sir la logique du Maire, la logique communale, peut se déployer dans autre chose que ce paradigme moderne. Est-ce qu’elle ferait encore sens dans des sociétés à l’échelle ville dans des sociétés urbaines vernaculaires. Si oui, quelles formes, elles seraient obligées de prendre pour faire encore sens ou est-ce que ce serait juste des dispositifs très techniques, essentiellement dérivés de toute la logique d’institution, qui ne fait sens que dans la rigidité du paradigme moderne. Donc, je n’ai pas tranché cette question, en attendant que le paradigme soit adressé, il faut agir en technicien. Ce que je proposerais aux Maires, c’est à leur échelle, de favoriser très fortement ce qui me semble être une des portes d’entrée pour régler le problème moderne : la vernacularité.  C’est à dire, d’observer le territoire et de voir ce qu’il a a proposé et d’une certaine façon de se désinscrire à certains niveaux de la grande cité mondiale. De toute façon, si on est en responsabilité sur une commune, c’est pour traiter la commune. Voir le génie du lieu et faire du vernaculaire avec les outils qu’on a. La possibilité existe aujourd’hui de faire cela sans se couper des autres. Cette possibilité est en potentielle très fortement dans le digital. En réalité, le vrai potentiel du digital, c’est une des paroles que je porte, c’est qu’en réalité, le digital nous tire presque fortement, vers un retour à des systèmes très vernacularisés.  C’est les laboratoires d’innovation (sur le modèle de la Silicon Valley) qui le dévie de ce potentiel-là pour le forcer à servir uniquement des systèmes encore très centralisées et monopolistiques. Le meilleur allié des Maires aujourd’hui c’est le digital pour faire à la fois très local et resté dans quelque chose de tissé ».

2. Entretien version longue

  • D’où vous est venu cette double préoccupation pour l’architecture et l’anthropologie ? (0:14)

Cette double préoccupation est venu son désir de comprendre les sociétés africaines.

« J’ai commencé d’abord en design industriel, pas très loin d’ici, à CREAPOLE (rue de Rivoli à Paris), parce que très tôt je me suis proposée à corriger une frustration que j’ai ressenti qui est que j’avais l’impression d’être dans un univers qui n’était pas africain. Je ne rentrais pas en parenté avec l’ensemble des objets qui composaient mon univers (tables, chaises, etc), par rapport à ce que j’avais pu voir du potentiel africain, en étant tombé sur des catalogues de masques et statuaires africains… Pour des raisons matérielles, mais aussi parce que j’ai compris qu’un architecte pouvait faire du design mais qu’un designer ne pouvait pas dessiner des maisons, j’ai décidé de passer en architecture. En architecture, toujours dans le projet de faire africain, j’ai tout de suite vu les limites de la formation et j’ai découvert à ce moment-là en lisant Hassan Fathy (Architecte égyptien), cette discipline qui est l’anthropologie et qui me permettait d’avoir les éléments qui me manque pour mieux comprendre les sociétés africaines“.

  • Qu’est-ce que l’anthropologie vous a permis de comprendre, d’exprimer ou d’exploiter dans votre travail ? (02:36)

L’anthropologie lui a permis de comprendre la dynamique des sociétés.

« L’anthropologie me donne un accès direct à la complexité des sociétés, partout où qu’elles se soient déployées sur la terre et plus singulièrement en Afrique puisque c’était globalement et aussi spécifiquement dans le cas de certaines populations, mon terrain. Cette complexité l’architecture n’en est que la cristallisation. Si vous avez l’ambition de faire l’architecture africaine et que vous voulez éviter l’écueil de tomber dans du folklore, il faut comprendre ces sociétés et leur dynamique ».

  • Comment pourriez-vous qualifier les architectures africaines ? (4:22)

Selon lui, il y a l’exploration d’un fonds commun à l’ensemble des architectures africaines.

« Alors c’est une question très sensible parce que vous pouvez être piégé quelque soit le bout par lequel vous décidiez d’y répondre. Moi j’assume que j’explore ce qui serait plutôt, un fonds commun à l’ensemble des architectures africaines, pour peu qu’elles soient en terre. Mes recherches et mon travail m’ont quand même amené à identifier une espèce de ligne dur, une sorte d’esprit et d’essayer d’en faire une sorte d’ADN de l’architecture africaine, que l’on peut mobiliser aujourd’hui dans un geste contemporain en étant sûr de faire africain ».

  • Quelle serait votre vision du monde ? (6:29)

Il nous fait part de sa radicalité organique de sa vision de l’architecture contemporaine.

« Cette vision du monde est très antimoderne et elle me semble être à l’opposé de ce qu’est la proposition moderne. Elle mobilise une forme de radicalité organique, qui peut aussi adresser l’idéal d’artificiel ou l’idéal de synthèse qui a dans la modernité. C’est ce qui me semble de faire d’elle une architecture, pas moderne, mais contemporaine. C’est quelque chose qu’on devrait regarder de prêt pour répondre aux problèmes de notre temps ».

  • Comment cette radicalité organique peut-elle s’exprimer dans le contexte de modernité ? (7:51)

Selon lui, le XVIIIe siècle, celui des lumières, est le siècle de l’individualisme et de la rupture avec la nature.

« Alors le mouvement moderne ou la proposition moderne dont je parle est animée par autre chose, c’est quelque chose qui est plus ancien mais qui se cristallise autour du XVIIIe siècle sur le continent européen, qui est une proposition cohérente par rapport aux problèmes des européens à l’époque puisque sur ce continent, on était en proie à des guerres incessantes. L’individu était écrasé dans cette configuration de chaos relatif et du poids énorme qu’avait la religion. Tout cela à mobiliser des penseurs et des philosophes dont un des grands moments a été ce qu’on appelle les Lumières, qui ont mis en chantier quelque chose que moi j’appelle “égo”, qui est le “je”, l’individu ayant une conscience exacerbé de lui-même. C’était la réponse au fait que les droits individuels en réalité n’existait pas… Cet ego est contrintuitif à toutes les autres formes de civilisations qui ont émergées dans le monde, nul part ailleurs, y compris en Europe, l’homme ne s’était pensé aussi individuel, ayant un début et une fin ».

Sa vision organique c’est de voir comment on peut vivre sans ses séparations en s’aidant du digital.

« Pour produire cet environnement d’ego, on a mis en branle toute une série de séparations. La première c’est ce qu’on appelle le naturalisme, c’est l’idée que l’homme doit se séparer de la nature pour pouvoir se réaliser en tant qu’humain. C’est d’ailleurs pare que les africains étaient naturels qu’on s’est senti autorisé à les mettre en esclavage durant la colonisation…  La deuxième séparation c’est l’individualisme, c’est à dire qu’après avoir théorisé que l’homme devait se séparer de la nature, on a théoriser ici en Europe que l’homme pouvait vivre sans le groupe et que c’était le moyen pour lui de réaliser son plein potentiel. Ces deux mouvements de séparation, encore une fois très contrintuitifs, pour toutes les autres sociétés ça été une grande révolution de l’esprit ici en Europe, qui a construit cette modernité. Tout le mouvement dont nous souffrons aujourd’hui a pour fondamental cette idée de séparation. L’intérêt à regarder vers des sociétés que moi j’appelle organique, c’est de voir comment on vit sans séparation, on vit en étant enchâssé dans le groupe et  le groupe enchâssé dans la nature, dans des petites communautés. Avec l’apparition des grandes villes, il fallait trouver le moyen d’administré plus d’humains, et la modernité proposait des choses plus efficaces. Tout l’enjeu aujourd’hui est de voir comment on fait du vernaculaire ou de la société organique à l’échelle. Les outils existe aujourd’hui en regardent vers le digital. C’est parce que le digital est uniquement entre les mains de laboratoires d’innovation verrouillé sur un paradigme moderne qu’on a des dispositifs qui continuent à nous faire fonctionner dans quelque chose du séparer ».

  • Comment mobilisez-vous le digital et le vernaculaire dans vos propositions ? (14:47)

Pa la création de laboratoires d’innovation de quartier pour créer un collectivisme digital.

« Pour ce qui est du digital, ça été d’abord expérimental avant d’être théorique pour ce qui me concerne car cela fait bientôt 12 ans qu’on teste au Togo cette idée que le digital pourrait nous permettre de nous désintriquer à la fois de la grande cité mondiale et du paradigme moderne. Comment fait-on ? On prend le digital en potentiel et on le mets dans des laboratoires d’innovation qui ne sont pas ceux de la Silicone Valley. Nous créons des laboratoires d’innovation de quartier et nous prenons le potentiel du digital, en cercle autour du quartier en leur demandant de développer leur produit fini par lui-même et pour lui-même, c’est à dire que dans ce système d’innovation, tout ce qui est développé est censé être efficace dans le quartier. Le fait de penser à l’échelle produit plus d’attention à la nature et remet du lien entre les gens. L’idée c’est de produire un collectivisme digital qui n’est possible qu’à l’échelle ».

  • Quels types de services le quartier développe-t-il dans le projet Hub Cité ? (17:03)

Les services déployés dans le quartier relèvent de la monnaie digitale, du réseau social ou encore du système de collecte.

« Le projet s’appelle hub city, en tout cas la première expérimentation que l’on fait à Lomé. L’idée c’est de créer un réseau de petits laboratoires de quartier ouverts aux gens qui y vivent pour développer toutes les technologies que les gens utilisent dans le quartier. On passe en revue tous les besoins. Sur l’unique laboratoire qu’on a aujourd’hui, on a par exemple une application pour une monnaie digital qui ne marche que dans le quartier. On a un réseau social de quartier, on a un système de collecte de déchets pour le quartier, une plateforme pour une AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne)… ».

  • Quel est le système de gouvernance et de rétribution dans votre projet HubCity ? (19:13)

Un système basé sur la duocratie : c’est celui qui fait le plus dont la voix a le droit de porter plus.

« Alors le système de gouvernance mais aussi de rétribution dans ces laboratoires, c’est très inspiré de la duocratie, c’est celui qui fait le plus dont la voix a le droit de porter plus.Tout ça est très expérimental et on fait beaucoup de médiation ».

  • Comment travaillez-vous pour déployer votre réflexion et la monter à l’échelle ? (20:18)

Il faut savoir que le projet est en grande partie autofinancée par l’Africaine d’architecture.

« L’effort, au début, c’est surtout de rendre possible cette expérimentation, c’est un gros effort car ce dont je parle-là est en grande partie autofinancée depuis 12 ans par l’Africaine d’architecture, mon association. Ça a inspiré beaucoup de projets dans le monde, y compris en France ».

  • Qu’est-ce que les architectures africaines peuvent-elles inspirer pour un renouveau de l’architecture dans le monde d’aujourd’hui ? (22:12)

La révolution c’est d’aller à l’éthique des objets d’arts (pas que leur esthétique).

« Il ne s’agit pas d’être inspiré ici par des formes venues d’ailleurs, et de prendre uniquement des apparences mais faire peut-être ce que la génération des avant-gardes n’a pas réussi à faire, c’est d’aller aussi à l’éthique, parce qu’on a pris l’esthétique en passant par perte et profit les valeurs que transportait ces objets-là. Pour faire simple, ils ont manqué d’anthropologie en réalité. C’est l’effort à produire aujourd’hui c’est de s’ouvrir à d’autres archives certes, mais il faut prendre les archives dans leur complexité, ne pas prendre que les formes mais aller à l’essence de ce qui est différent ».

  • Que retiendriez-vous du siècle des Lumières ? (24:56)

Selon lui, les risques de la désoccidentalisation c’est de perdre certaines valeurs du mouvement humaniste.

« Est-ce qu’il faut tout rejeté du siècle des Lumières ? On est tenté, dans la désoccidentalisation, de tout renversé et il y a un danger, que dans cette forme tout à fait légitime et autorisé de se désoccidentaliser, on perde aussi des fondamentaux, qui sont des legs positifs de ce mouvement humaniste… Peut-être que par là on rebouque avec la question de la langue française, car il me semble que ça va se jouer à ce niveau-là, dans la capacité de la langue à elle-même assumer que ceux qui étaient le plus légitime pour l’incarner ont systématiquement trahis ses valeurs et comment elle pourrait accueillir pour se survivre et pour patrimonialiser ses valeurs, une nouvelle forme de leadership, ce qui est une question très vaste car j’ai l’impression que les gens sont tentés de mettre à sac cet outil ».

  • Que représente pour vous la langue française ? (28:06)

La langue française est une langue associée à des valeurs.

« C’est une langue qui presque automatiquement, peut-être plus que les autres du même espace européen est associé très fortement à des valeurs, qui depuis Paris-même sont presque niées, en tout cas vue de l’Afrique… C’est une langue qui très mal incarnée par ceux qui sont normalement sur le papier ses premiers défenseurs. La capacité de cette langue à survivre dépendra de comment on arrive à construire la provincialisation de Paris… L’enjeu n’est plus esthétique dans la langue, l’enjeu est de voir comment la langue survie mais elle ne survivra que si elle est encore légitime comme véhicule pour certaines valeurs. Ceux qui trahissent ces valeurs, ce n’est pas paradoxalement ceux de la périphérie mais les gens à qui on donne en priorité autorité pour cette langue. Le danger, c’est qu’une langue très automatiquement associée à de la valeur, finisse par paraître comme l’est une autre langue, un peu hégémonique, la langue du commerce et la langue de la parole qui n’est pas vraie, la parole qui est intéressée parce que elle est support essentiellement des choses qui ne sont pas dites ».

  • Comment est-ce que vous mettez ensemble les mots et les images ? (30:26)

Il nous rappelle ses quelques années où il s’est prêté à la poésie.

« La poésie, ça été un moment où j’ai bien fait de la poésie, pas en termes de contenu certainement parce que personne n’a voulu publier, donc j’ai été obligé de publier moi-même, mais je pense l’avoir bien fait dans la radicalité du faire, puisque j’ai fait ça de façon très marginale, à la rue, quand  j’avais 20 ans. Ça n’a été qu’un moment. Peut-être que la poésie à quelque chose de particulier avec la langue française ».

  • Quel message voudriez-vous transmettre à un étudiant en urbanisme ? (32:29)

Dans le message qu’il porte aux nouvelles générations, il compare la politique et l’urbanisme.

« L’urbanisme c’est comme la politique, si tu ne l’as fait pas, elle va te faire. On a basculé dans un processus de métropolisation générale. Il faut considérer que l’humanité entière sera urbaine à une échéance relativement proche. S’intéresser à l’urbanisme, c’est juste s’intéresser au sort du monde. Il faudrait plus d’éléments pour que je puisse lui répondre quoi que ce soit ».

  • Comment vous projetez dans l’avenir votre vision de la ville ? Que peut faire la nouvelle génération ? (33:08)

La modernité du continent africain a été confisquée, l’émergence des villes africaines peut être l’occasion de montrer son potentiel.

« Je pense que la nouvelle génération à un gros challenge à relever avec la ville mais le sujet de la ville est africain. C’est le continent où les plus grandes villes du monde vont émerger. C’est surtout là-bas que ça va se solder. La bonne nouvelle c’est qu’on ne connaît pas le potentiel de l’Afrique, car toute la modernité du continent a été confisquée. On ne sait pas ce que donnerait un tel continent si l’espace était un peu plus épanouissant pour la jeunesse africaine ».

  • Quel message l’AIMF pourrait-elle porter ? (36:31)

Le message pourrait être le suivant : Tout ce qui favorise le dialogue est bon pour l’innovation.

« Plus il y a de liens, plus il y a de connexions, plus il y a d’idées intéressantes qui émergent, donc c’est une espace, il me semble, tout à fait nécessaire. L’intuition est bonne, maintenant, est-ce que c’est un espace ouvert où on s’autorise, est-ce qu’il est suffisamment représentatif de la démographie africaine ? Est-ce que les Maires africains sont suffisamment fous au niveau de la folie qu’exigent les enjeux ? Sont-ils suffisamment jeunes pour être en résonance avec les enjeux ? »

  • Quelle analyse faites-vous de la présence chinoise en Afrique ? (38:06)

La Chine gère une grande part des infrastructures en Afrique, ce qui lui donne une responsabilité dans l’urbanisation.

« Moi, je suis au Togo, avoir des quartiers chinois carrément non. La Chine produit beaucoup cette urbanisation parce que c’est des entreprises chinoises en concurrence avec des entreprises occidentales qui font les grands travaux. Il semblerait d’ailleurs que la Chine soit plus arrangeante pour gérer un certain nombre d’infrastructures. Elle a donc une responsabilité dans l’urbanisation, car elle fait parti des principaux opérateurs de cette urbanité dans plusieurs de nos pays ».

La présence de la chine en Afrique est moins politique qu’économique à la différence du « paternalisme des occidentaux ».

« Je ne sais pas à quelle échelle cette ingénierie chinoise opère. Ce qui est sûr c’est que très directement, la Chine est moins intéressée à intriguer au sens où les occidentaux le font de façon très ouverte (ex : favoriser la prise de pouvoir). Les chinois sont moins directement intéressés politiquement et plus dans la préservation économique avec énormément de subtilité. Cela dit, il semble qu’il y ait énormément, en matière de droits, beaucoup de violences déployées autour de l’action chinoise sur le terrain ».

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