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« Ce qu’il est convenu d’appeler les espaces publics urbains, rues, places, squares, etc., est consubstantiel à la ville et dans ce sens, a toujours existé », écrit Pedro Gomes. Cette notion trouve un écho particulier dans la ville européenne ancienne qui lui donnait une échelle humaine et qui permettait d’y inscrire urbanité et lien social. Plus récemment elle est apparue comme une référence plus universelle sans que pourtant une définition précise puisse être formellement établie au-delà d’une sorte de tautologie : les espaces publics sont des lieux de rencontres, de partage, d’échange. Et ils semblent désormais consubstantiels de la ville, invention dans laquelle les êtres humains se sont divisés le travail et vivent en communauté.
En effet, la trame primitive des fonctions urbaines s’est spécialisée au gré de l’Histoire, y compris par l’organisation spatiale : habiter (loger les gens), produire (faire travailler les entreprises), commercer (organiser les échanges), consommer (acquérir des biens et des services), administrer (organiser la vie en commun). Mais il a fallu d’autres espaces pour coordonner et imbriquer toutes ces fonctions. Ce sont des espaces de mobilité, des espaces de transition, mais aussi des espaces de loisirs (les parcs et les jardins) qui sont autant d’espaces publics où peuvent s’exprimer l’animation de la cité par l’usage des habitants et une dynamique propre que montre nombre de villes européennes et que pourraient reprendre des villes francophones.
Ce qui caractérise les espaces publics renvoie sans doute à une mobilisation de l’imagination, à l’éclatante capacité d’adaptation grâce à laquelle les habitants occupent ces parties de territoire. Les plus jeunes font preuve d’inventivité pour en disposer le plus à leur guise, à travers leurs différentes activités. Cette vitalité est un plaidoyer vivant pour l’écoute et la prise en compte des aspirations des nouvelles générations. Mais les moins jeunes ont aussi leur utilisation, que ce soit pour circuler (transports), bouger (sport), se reposer (parcs), fêter (festivités) ou encore s’opposer (manifestations).
C’est pourquoi l’urbanité de la ville est davantage marquée par ces espaces publics en tant qu’espaces sociaux, de lieux de rencontre et tout simplement de lieux de socialisation. C’est pourquoi également, les approches de l’urbanisme en francophonie, dans la diversité des pratiques, doivent accorder une attention forte aux conditions d’existence de ces espaces qui sont élémentaires pour faire et pour vivre la ville. Car l’urbanisme a vocation à concilier, en dépit de la production d’une multitude de modalités d’existences, la coordination au sein d’un même ensemble humain (la société), avec la prise en compte de chacune de ses parties (les citoyens).
Alors que les crises récentes (dont la pandémie) ont encouragé, parfois imposé, le repli vers l’espace domestique, le rôle des espaces publics comme trait d’union permet de combattre les risques de transformation de la ville en un simple lieu de juxtaposition. C’est pourquoi il est primordial de mener une politique volontariste pour les préserver comme autant d’espaces de vie destinés à reconnecter des individus aux individus, des habitants à toutes les aménités de leur territoire.
Cette troisième table ronde entend s’intéresser à l’opportunité de réinvestir et de réinventer les espaces publics comme des parties primordiales lorsque l’on renouvelle la ville, (webinaire 1), à leur rôle dans le développement d’une économie circulaire dans le développement urbain (webinaire 2), enfin, à la place des espaces publics et aux usages qu’ils peuvent accueillir (webinaire 3).
Webinaire 1 : Refaire la ville sur la ville, une opportunité de réinventer les espaces publics
Mardi 25 avril 2023 (12h30 – 13h45)
Refaire la ville sur la ville est devenu un objectif majeur des politiques d’urbanisation. L’extension des villes, la raréfaction du foncier disponible et la concurrence entre les activités, les évolutions techniques et sociales enfin, réclament de pouvoir transformer et réapproprier les espaces existants. Mais cet objectif doit également constituer l’occasion de dépasser la spécialisation fonctionnelle trop souvent adoptée, d’améliorer les cadres de vie, de privilégier des espaces de rencontre et des lieux accessibles et partagés.
Mieux que de construire de nouveaux aménagements en empiétant sur les ressources foncières désormais rares, il serait ainsi préférable de partir des espaces existants pour les mettre à la mesure des besoins d’aujourd’hui. Aussi est-il possible d’investir par exemple un ancien territoire industriel pour lui donner d’autres usages, le convertir en lieu de vie tout en conservant la trace des activités disparues, grâce au patrimoine bâti qui aura été préservé : le lien entre les gens que constitue alors l’espace public pourrait aussi faire lien avec le passé et permettre d’offrir un nouveau récit pour le territoire.
Porter l’ambition de refaire la ville sur la ville, c’est construire par le bas, avec toutes et tous et construire avec la volonté de chacun mais c’est aussi construire par le haut avec le respect des contextes, différents à Casablanca qu’à Beyrouth, et par le respect de la connaissance des conditions climatiques. Bien entendu ce respect des contextes ne va pas sans tension.
L’espace public devient alors un espace à approprier et un espace qui risque de subir la tragédie des communs. Réintroduire les communs c’est donc extrêmement important, notamment parce que nous avons besoin sans doute davantage aujourd’hui dans un contexte de défis climatiques, d’espaces de nature mais aussi d’espaces organisés pour tenir compte de toutes les évolutions climatiques, technologiques et sociales.
Il s’agit donc de réunir les conditions pour mobiliser les habitants et changer l’image d’un territoire au-delà d’un évènement temporaire en les associant au projet urbain. Mais ensuite… Comment créer une identité de ville au-delà de la clôture d’un évènement ? Comment la ville provisoire devient-elle pérenne ?
Comité de travail :
- Introduction : Mme Charlotte BLEUNVEN, Ingénieure d’études pour l’AIMF.
- Modérateur : M. Sylvain ALLEMAND, Journaliste.
- Synthèse : M. Lionel PRIGENT, Urbaniste, Économiste, Professeur à l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) et Directeur du Laboratoire de Géoarchitecture.
Intervenants :
- M. Bernard REICHEN : architecte-urbaniste, fondateur de l’agence Reichen et Robert (1973), membre de l’Académie d’Architecture, Officier des Arts et des Lettres et Chevalier de l’ordre National de la Légion d’Honneur.
- Pr Mousbah RAJAB : architecte-urbaniste et Professeur à l’Université Libanaise.
- M. Sylvain GRISOT : urbaniste et fondateur de dixit.net (agence de conseil et de recherche urbaine).
Webinaire 2 : L’économie circulaire, animatrice de l’espace public
Mardi 23 mai 2023 (12h30 – 13h45)
L’économie circulaire tend à recouvrer une place de plus en plus importante au sein des villes, en proposant des modèles économiques pour améliorer les conditions d’existence malgré notre conscience désormais que nos ressources sont limitées. Dans nombre de régions du monde, sous la forme d’une économie informelle, elle constitue toujours une activité indispensable pour faire vivre nombre de ménages. Mais plus largement, sa nécessité devient évidente pour limiter les conséquences économiques, sociales, environnementales et territoriales de l’économie linéaire. Un tel constat est désormais largement partagé par nombre d’institutions internationales mais aussi par beaucoup de villes qui multiplient les initiatives. Et désormais, l’économie circulaire semble en mesure d’animer les espaces urbains de deux manières :
- Tout d’abord, elle nous rappelle le lien qui persiste entre les ressources présentes à l’échelle locale et le développement du territoire. C’est pourquoi nous devons porter une attention privilégiée au fonctionnement en circuit court ;
- Ensuite, les activités de l’économie circulaire ont un impact territorial immédiat car tous les acteurs du secteur doivent disposer d’espace pour produire et distribuer. Il faut des lieux pour organiser les échanges et ces lieux sont contigus et parfois débordent l’espace public. Sur la rue, sur les places, devant les habitations, apparaissent les indices de présence de cette économie circulaire.
Le besoin de développer et de consolider une économie de la proximité, à la fois sociale et circulaire, met en avant le rôle incontournable des villes. De nombreuses illustrations d’actions, à Dakar, Paris, Bordeaux ou Roubaix, montrent de quelle manière il est possible de mobiliser les forces du territoires, moyennes, petites et très petites entreprises, qui s’impliquent dans la démarche de la collectivité, au travers des marchés publics, mais aussi se soumettre volontairement aux contraintes fortes de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). La ville apparait donc comme une échelle pertinente pour l’action.
Toutefois, face à la complexité des problèmes ou leur échelle globale, il apparait nécessaire d’agir en coordination avec les autres niveaux de gouvernance. La capacité de transformation que porte l’économie circulaire nécessite donc une approche systémique et multi-niveaux. La Belgique en illustre l’exemple au travers l’introduction des mécanismes ordinaires de l’économie circulaire dans sa réglementation : réutilisation des matériaux, rénovation des bâtiments avec des ressources recyclées… Les modes de coordination entre acteurs (de la collaboration à la coopération) et les gouvernances démocratiques et participatives sont autant d’éléments appropriés pour initier et maintenir des dynamiques collectives qui répondent aux enjeux communs.
Comité de travail :
- Introduction : Mme Charlotte BLEUNVEN, Ingénieure d’études pour l’AIMF.
- Modérateur : M. Sylvain ALLEMAND, Journaliste.
- Synthèse : M. Lionel PRIGENT, Urbaniste, Économiste, Professeur à l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) et Directeur du Laboratoire de Géoarchitecture.
Intervenants :
- Mme Sylla Khady Niang : Adjointe au Maire de la ville de Dakar chargée de la coopération décentralisée.
- M. Gouganou Kopieu : Directeur de l’Institut de l’Économie Circulaire d’Abidjan (IECA).
- Mme Élisa Yavchitz : Directrice des Canaux, la Maison des économies solidaires et innovantes à Paris.
Webinaire 3 : La rue, un espace à partager ?
Mardi 27 juin 2023 (12h30 – 13h45)
Parmi les espaces publics, la rue est sans conteste le théâtre à la fois des pratiques les plus libres et des conditions d’occupation les plus contraignantes. Vouée à la circulation et à la connexion avec les espaces privés, elle accueille tous les habitants, sans guère de possibilités d’écarter spontanément certains usages ou certains publics. La rue participe ainsi d’une occupation de l’espace mais peut connaître en retour des conflits entre les usages, notamment entre les automobilistes et les autres.
La compétition entre usages trouve aujourd’hui son illustration dans l’étude des trottoirs. Dédiés principalement aux piétons, les trottoirs sont en effet utilisés par beaucoup de nouveaux acteurs, les livreurs, les scooters, les motos-taxis ou les trottinettes… En Europe, s’y accumulent aussi, aux côtés des nouvelles de circulation, de multiples services (bornes NTIC, mobilier urbain). Quant aux territoires africains, ils accueillent davantage du commerce informel qui a besoin de l’espace public pour se déployer. Comment l’urbanisme peut-il redéfinir les enjeux du partage de l’espace et participer à retrouver un équilibre social ? Plus largement, est-il possible aujourd’hui, de maintenir un urbanisme qui reconnaît l’utilité et les qualités spécifiques d’un espace public, qui fabrique des espaces partagés ouverts à tous et qui questionne des dimensions qui ne sont pas exclusivement économiques ?
Aujourd’hui, encouragé par la primauté accordée à l’économie sur toute autre forme d’interaction sociale, le mode d’organisation et de production de la ville semble s’appuyer sur les forces de marché. Pourtant, ce mécanisme est plus enclin, par son principe même, à privilégier surtout les logiques individuelles quand la ville entremêle les logiques individuelles et les logiques collectives, les espaces privés et les espaces publics.
Le rôle des Maires est essentiel, car ils ont la responsabilité de mener une politique (comme gestionnaire de la cité), mais aussi de rendre accessible des espaces urbains grâce auxquels les habitants sont en mesure de relier le passé, le présent et le futur. Créer des espaces publics ouverts à tous à l’exemple du miroir d’eau à Bordeaux, lieu de réunion des citadins et des « banlieusards ») peut permettre de modifier les interrelations à l’intérieur du territoire, de transformer les rapports entre centre et périphéries et d’accélérer les effets du renouvellement urbain.
Enfin, la rue peut aussi devenir un opportun terrain de jeu : manifestations sportives ou culturelles et expression des arts de rue parcourent l’espace public et constituent autant de moments d’expression d’une mixité sociale et fonctionnelle. Comment les villes peuvent-elles agir afin de favoriser cette mixité, soit en permettant une plus grande variété d’usages et de temporalités, soit en imaginant de nouveaux espaces dédiés ?
Comité de travail :
- Introduction : Mme Charlotte BLEUNVEN, Ingénieure d’études pour l’AIMF.
- Modérateur : M. Sylvain ALLEMAND, Journaliste.
- Synthèse : M. Lionel PRIGENT, Urbaniste, Économiste, Professeur à l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) et Directeur du Laboratoire de Géoarchitecture.
Intervenants :
- M. Nicolas Escach : Géographe et Maire-adjoint à la ville de Caen en charge de la Ville Durable.
- Mme Imène Zaâfrane Zhioua : Enseignante permanente, Phd, Ecole Nationale d’Architecture et d’Urbanisme, Université de Carthage, Tunisie.
- M. Pascal Amphoux : Architecte DPLG, Géographe (REG A), Gérant du bureau d’études CONTREPOINT à Lausanne.