Vivre la ville de 2050, se rencontrer et se déplacer en été sur la trame rose

L’AIMF (Association Internationale des Maires Francophones), en partenariat avec le réseau APERAU (Association pour la Promotion de l’Enseignement et de la Recherche en Aménagement et Urbanisme) a lancé au travers de l’initiative Urbanisme en Francophonie, un Appel à projets “Quelles formes prendront les villes en 2050 ?”, dans le cadre de la Conférence internationale « Le réenchantement des villes : Urbanisme en Francophonie, horizon 2050 », organisée les 2 et 3 octobre 2024, en amont du Sommet de la Francophonie.

Lauréat de l’Appel à projets des Jeunes Ambassadeurs Francophones : “Quelles formes prendront les villes en 2050 ?”,  l’équipe de l’École d’Urbanisme de Paris (EUP), composée d’Olga Boutté, de Gaspard Finck, de Valentine Jouan, d’Arthur Gaborit et de Loane Bonnefond et encadrée par Sabine Bognon (enseignante chercheuse à l’EUP), nous présente son poster intitulé : “Vivre la ville de 2050, se rencontrer et se déplacer en été sur la trame rose”.

 

Des espaces publics inadaptés au dérèglement climatique

À Paris, la chaleur est identifiée comme le premier facteur de vulnérabilité face au dérèglement climatique. Du fait de ses formes urbaines, du manque de végétalisation ou encore de la couleur de ses revêtements, la ville est soumise à des effets d’îlots de chaleur urbains qui ne feront que s’accroître dans les prochaines années. Nous constatons déjà l’impact de ces  chaleurs estivales. Depuis l’ère préindustrielle, la ville de Paris s’est réchauffée de 2,3°C (Apur). Nous observons des étés caniculaires allant jusqu’à 11 jours consécutifs avec des températures entre 35°C et 40°C en 2003 et un pic à 42,6°C en 2019 (Météo France).

  • 2030 : l’épisode de 2003 est devenu la normale de saison (Conseil de Paris) ;
  • 2043 : 50 fois plus de risques de connaître des épisodes encore plus sévères que la canicule de 2003 (Météo France);
  • 2050 : des pics de chaleur extrêmes atteignants les 50°C (Conseil de Paris) ;
  • 2080 : 34 jours de vagues de chaleur et 35 nuits tropicales (>20°C) par an (Conseil de Paris).

Des écarts de 3°C à 10°C peuvent être observés entre un espace adapté au dérèglement climatique et une zone fortement minéralisée (Apur). Face à ces prévisions, les espaces publics que nous connaissons aujourd’hui sont obsolètes. En répondant à l’injonction fonctionnaliste et de l’hypermobilité des XXe et XXIe siècles, ces espaces ont été bouleversés en plaçant l’automobile au centre de nos rues. Issue du courant moderniste des années 1950 et 1960, cette manière de concevoir la ville a rendu l’espace public inerte.

Inerte car il n’est plus que support des mobilités.
Inerte car il se pratique dans une forme d’individualité.
Inerte car on ne s’y rencontre plus.
Inerte car face au dérèglement climatique il ne sera plus praticable.

Comment, alors, habiter, arpenter, pratiquer ces espaces dans un contexte d’augmentation intense des températures et d’épisodes météorologiques extrêmes démultipliés ? Nos modes de vie sont contraints d’évoluer. Aujourd’hui déjà, les recommandations de santé publique en période de canicule préconisent d’éviter les lieux de fortes chaleurs, de se retrancher chez soi, les volets fermés. En journée, les déplacements et les activités sont réduits et contraints : on vit tôt le matin et tard le soir. Les espaces publics de nos villes deviennent impraticables dès lors que les températures excèdent les 35°C. L’artificialisation à outrance et la bétonisation engendrent des effets d’îlot de chaleur urbain, qui rendent l’espace public peu adapté aux changements à venir.

Ainsi, l’urgence climatique, l’anonymisation des individus et le besoin de se rencontrer nous poussent aujourd’hui à repenser nos manières de faire et de vivre ces espaces. Dans cette perspective nous proposons un aménagement, la Trame Rose, pensé pour accompagner les mutations des modes de vie et de nos manières d’habiter, contraintes par le dérèglement climatique, rendant la pratique du dehors difficile.

La Trame Rose : une mise en réseau nécessaire

Nous faisons le constat que les projets urbains de végétalisation et portant sur l’espace public fleurissent dans des points précis des villes. Toutefois, ils se développent indépendamment et ne sont que peu mis en réseau. Dans notre cas d’étude, la ville de Paris, les politiques d’aménagement créent et renforcent des îlots de fraîcheur urbains pour adapter le territoire au changement climatique. On peut mentionner les rues aux écoles, la piétonisation des quais de Seine, le projet de Vélorue le long du Canal Saint-Martin ambitionnant l’ouverture des parcs et square du quartier, ou encore les forêts urbaines de la Place de la Catalogne (récemment livrée) et du quartier Colonel Fabien (en projet). De manière générale, les aménagements d’adaptation au changement climatique dans les villes permettent de créer des lieux frais, agréables et praticables mais éparpillés et déconnectés. Il existe bien entendu des plans d’adaptation des villes au changement climatique pensant une stratégie globale d’aménagement, que nous ne remettons pas en cause. Notre proposition s’inscrit dans la continuité des politiques engagées, et ajoute la nécessité de relier ces îlots de fraîcheur de manière à créer du lien à la fois entre les aménagements et les gens. De la même manière que les trames vertes, bleues, brunes et noires protègent faune et flore, notre Trame Rose s’ajoute pour constituer des continuités écologiques, sociales, culturelles et mobilitaires afin d’adapter nos villes face à l’intensification des aléas climatiques.

Ce projet redonne leur place au partage et à la rencontre dans la ville tout en palliant aux chaleurs extrêmes liées au dérèglement climatique. Cette conception des espaces publics ne se circonscrit pas à la ville de Paris. Nous avons pensé une méthodologie qui peut se décliner dans l’ensemble des territoires urbains. Aussi, la mise en place d’une Trame Rose considère la continuité, la convivialité, les usages, la marchabilité, la co-construction, la fraîcheur (cf. Poster “La Trame Rose Késako ?”).

De plus, nous pensons que pour adapter le territoire et les modes de vie, il est important de travailler avec les habitant.es et usager.es de l’espace public et d’expérimenter afin d’arriver à des aménagements pérennes et acceptés par toutes et tous. La mise en œuvre de la Trame Rose est alors une succession d’expérimentations. Les évaluations et les retours d’expérience collectés auprès de celles et ceux qui habitent et pratiquent l’espace public permettront d’affiner le projet.

Des aménagements légers, inclusifs et adaptés au dérèglement climatique

Comme présenté dans le poster, nous avons pensé l’espace public horizontalement et verticalement. Dans sa verticalité, un ensemble d’éléments forme un millefeuille. Des couches de voiles se succèdent pour filtrer les rayons solaires, sans pour autant occulter la lumière. La Trame Rose porte aussi une importante végétation (toits végétalisés, zones humides, plantes grimpantes, plantations de végétaux, etc.) qui permet de rafraîchir l’air. Ces aménagements se veulent légers. Ainsi, ils ne demandent pas des investissements démesurés, peuvent être réversibles et ne bouleversent pas le tissu existant. À l’instar de certaines villes des Suds (Séville, Bordeaux, Médine, etc.), des aménagements de ce genre ont été réalisés sans toutefois avoir un impact néfaste sur la forme urbaine et le patrimoine. Simplement, ils ont permis d’adapter des rues déjà existantes aux chaleurs estivales de plus en plus intenses. Des bancs multi-usages et inclusifs seront installés. Avec dossier ou non, surélevé ou proche du sol, rond ou carré, avec tables ou dans les marches d’un monument, le mobilier urbain devient œuvre d’art, aire de jeux ou de pique-nique, espace de travail, zone de repos, lieu de rencontre ou abris.

Nous proposons des parcours lumineux et des jeux graphiques au sol comme sur certaines façades. Ces aménagements permettent d’activer l’espace public. On ne traverse plus seulement la rue ou la place mais on les parcourt en s’amusant, en apprenant et en déambulant. À hauteur d’enfant, l’espace quotidien devient un terrain de jeux. Aussi,
l’éclairage public est repensé dans une logique de convivialité et d’agréabilité. Allégé de son objectif purement sécuritaire et de son aspect éblouissant, l’éclairage public se pare de couleurs et de jeux lumineux, dessinant ici des espaces de rencontre et de partage, là des lieux sécurisants, inclusifs. Pour rendre l’espace commun plus convivial en soirée, nous
proposons également un éclairage doux et dans des tons chauds. En effet, des guirlandes lumineuses tirées entre les immeubles de rues étroites permettent de créer un espace accueillant et attirant. Si on ajoute des assises et de la végétation, la rue devient un espace de rencontre, de discussion et un vecteur de lien social.

Concernant les circulations motorisées, nous avons fait le choix, au vu des projections climatiques pour 2050, de les limiter au maximum sur la Trame Rose, afin de réduire les effets de la pollution de l’air et sonore. Là où la voiture était au centre des espaces publics, elle devient la marginale de l’espace commun. Les rues retenues pour mettre en œuvre la Trame Rose restent bien sûr accessibles aux véhicules utilitaires. Les places de stationnement restantes sont végétalisées dans un objectif de lutte contre les îlots de chaleur urbains, tout en conservant les places dédiées aux personnes à mobilité réduite et aux services utilitaires (livraison, secours, etc.). Aussi, nous proposons de développer des modes de transport doux et actifs. Les revêtements des sols qui ne sont pas végétalisés sont désimperméabilisés et éclaircis afin de garantir un accès à la Trame Rose pour toutes et tous. À travers ces différentes propositions, nous souhaitons construire un espace public commun intergénérationnel, inclusif et accessible.

La Trame Rose : une méthodologie qui s’adapte aux territoires

Pour illustrer notre projet de Trame Rose, nous avons choisi de traiter le cas de Paris, car nous nous sentions plus légitimes de parler d’un territoire que nous pratiquons et habitons au quotidien. Ainsi, nos exemples sont parisiens, nos données sont franciliennes et le regard que nous portons est territorialisé. Cependant, la Trame Rose n’est ni une solution type à dupliquer à la lettre, ni un concept déposé. Nous l’avons pensée comme un guide méthodologique pour adapter nos territoires au dérèglement climatique et au besoin de recréer du lien social.

Chacune et chacun est libre de s’approprier la Trame Rose pour la décliner dans son propre territoire afin de répondre au mieux à ses spécificités et son contexte géographique et socioéconomique. Aussi, nous militons pour la libre circulation des savoirs et des informations. Notre concept n’est donc en aucun cas une proposition immuable et sous le joug d’une quelconque propriété intellectuelle.

© Crédit Photo : William Gouzien (Remise des prix à la Conférence Internationale Urbanisme en Francophonie)

2 octobre 2024

 

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