Appel à articles “Exploiter, transporter et gouverner les ressources”

L’appel à articles pour un futur numéro de la revue L’Espace Politique dont la parution est prévue durant l’été 2025 est désormais ouvert. Sur le thème des “filières” et de la gestion des ressources, l’appel à articles “Exploiter, transporter et gouverner les ressources. Une analyse par et dans les filières” entend requestionner l’utilisation de la notion de”Filière” en sciences sociales comme objet de recherche et cadre d’analyse. Envoyez vos articles avant le 20 septembre 2024 inclus.

Mots-clefs : Filière, Ressource, Gouvernance,Crises, Politique territoriale, Méthodologie, (Dé)mondialisation.

Argumentaire

Cet appel propose d’étudier les processus de mise en ressource à travers le terme de « filière ». En nous plaçant au croisement d’approches géographiques, historiques, géopolitiques, économiques et sociologiques, nous souhaitons réinterroger l’utilisation de cette notion en sciences sociales, comprise à la fois comme objet de recherche et cadre d’analyse.

Dans un contexte de multiples crises sanitaires, géopolitiques, climatiques et énergétiques, la circulation internationale des ressources s’est révélée incertaine, remettant en cause les processus classiques de mondialisation (Carroué, 2020). La filière, notion jusque-là davantage mobilisée par les acteurs opérationnels que par ceux de la recherche, apparaît à nouveau comme une approche pertinente pour étudier l’exploitation et la circulation des ressources dans divers contextes territoriaux.

Par cet appel, qui fait suite à l’édition 2023 des doctoriales organisées par le groupe Recherches-Ressources, nous souhaitons articuler les notions de ressource, comprise comme une construction sociale (Raffestin, 1980 ; Magrin et al., 2015), et de filière, qui pourrait être définie comme « une chaîne d’activités multiples liées entre elles de l’amont à l’aval, depuis l’élaboration d’un produit jusqu’à sa commercialisation » (Bost, 2015).

Cette notion de filière a connu, dans la littérature francophone et jusque dans les années 2000, deux principaux usages : comme moyen de description et d’évaluation de la production industrielle en France dans les années 1980 (Toledano, 1978 ; Monfort, 1983) ; comme outil de développement, notamment appliqué aux filières agricoles et agroalimentaires dans les pays des Suds (Hugon, 1988 ; Fournier et al., 2000 ; Bencharif et Rastoin, 2007). Dans la littérature anglophone, les termes de supply chain, de commodity chain ou de global value chain sont également utilisés pour analyser des politiques industrielles (Gereffi et Korzeniewicz, 1994) et agricoles (Andrae et Beckman, 1985 ; Grote et al., 2021). L’étude de l’usage de ces termes par les acteurs de la mondialisation capitaliste a permis une réflexion critique sur la place du travail, les logiques d’accumulation de richesses et les stratégies de localisation de ces firmes (Phillips, 2018). Mais il ne semble pas y avoir d’étude équivalente proposée pour la notion française de filière, dont la définition reste à clarifier (Raikes et al., 2000).

Sans se restreindre aux seules disciplines économiques et géographiques et en invitant à une réflexion sur cette diversité terminologique, nous souhaitons inscrire cet appel dans une compréhension plus sociale et politique de la filière, appliquée à la gestion des ressources. Des réappropriations récentes et plus transdisciplinaires de cette notion la définissent en effet à la fois comme un objet de recherche et comme un « cadre d’analyse des politiques et de stratégies de développement » (Lançon et al., 2016). Les approches par la filière et les chaînes de valeur permettent de mettre en lumière, en croisant les échelles et les acteurs, des rapports d’exploitation et de domination. L’ancrage des filières, et de leurs ressources, apparaît comme indissociable des contextes temporels et spatiaux dans lesquels elles s’inscrivent.

Cet appel se place donc dans la continuité du « tournant matériel » en sciences sociales (Whatmore, 2006 ; Weber, 2014), de l’intérêt renouvelé pour la « biographie des objets » (Appadurai, 1986 ; Bonnot et al., 2018) et de l’approche « par le bas » (Portes, 1999 ; Choplin et Pliez, 2010). Les approches théoriques et méthodologiques développées par ces différent·es auteur·ices nous semblent en effet être des grilles de lecture pertinentes pour l’analyse des ressources, de leur exploitation et de leur commercialisation.

Les articles pourront aborder ces questions à partir de trois axes :

Axe 1 : La filière, une échelle révélatrice de conflits et de rivalités de pouvoir dans la gestion des ressources

L’analyse des filières permet, dans une approche géopolitique, de mettre en lumière des jeux d’acteurs à différentes échelles. Ainsi, une étude de la filière du blé au Nigeria a-t-elle permis de mettre en lumière l’enchevêtrement des intérêts contradictoires des acteurs politiques et économiques de ladite filière (Andrae et Beckman, 1985). Les acteurs publics ont également un rôle à jouer et des intérêts à défendre au sein des filières. Au sein d’un monde où la géoéconomie représenterait « un nouvel espace de compétition entre nations marchandes développées » (Lorot, 2009), les États peuvent également poursuivre une politique de puissance via le développement de filières dites stratégiques. À l’échelle globale, les débats sur la filière la placent tantôt comme un vecteur privilégié de développement, notamment via l’action d’organisations internationales ; tantôt comme le moyen privilégié des firmes transnationales pour maximiser leurs profits et exploiter des relations de pouvoir asymétriques entre les acteurs de ces chaînes de valeur (Phillips, 2018).

Ainsi, la filière représente une échelle possible de l’action publique, comme le montre notamment la stratégie de maîtrise de la chaîne de valeur du lithium par le gouvernement chinois, qui soutient sa politique en faveur de la mobilité électrique par des investissements dans l’extraction et la transformation de cette ressource (Bos et Forget, 2023). En matière agricole, le cas de la Russie et du fort développement de sa filière d’exportation de blé est un exemple évident d’un État dont l’objectif est l’utilisation des ressources de son territoire pour servir des objectifs de puissance (Ahmed et al., 2017). Dans ce contexte où les ressources peuvent représenter des atouts stratégiques et géopolitiques, les normes et régulations qui encadrent leur circulation dans des filières mondialisées sont autant d’éléments à prendre en compte pour leur analyse (Boivin et Mayeur, 2022).

Axe 2 : Face aux crises, des filières qui s’adaptent et se recomposent

Ce deuxième axe invite à une étude de l’adaptation multiforme des filières et de leur inscription dans un contexte territorial, temporel et actoriel. Elles sont ainsi confrontées à des crises de diverses natures. Pour ne citer que l’une d’entre elles : à travers la pandémie de Covid-19, lors des confinements et de la diminution brutale de la production manufacturière en Chine, les filières se sont révélées vulnérables face à leurs difficultés d’approvisionnement (Rabassa, 2020). Ce moment apparaît comme un révélateur de l’interdépendance entre l’amont et l’aval d’une filière à l’échelle internationale (Aghion et al., 2021).

Cet axe invite à prendre en compte tous les types de crises qui fragilisent les filières et leur gestion. L’instabilité des coûts et les ruptures dans les chaînes d’approvisionnement qu’elles génèrent, ainsi que les conflits (Desjeux, 2022), les mesures protectionnistes et embargos (Favier, 2022), le changement climatique (Duvernoy, 2022) et les crises environnementales sont autant de facteurs déstabilisants. De nouvelles formes de gestion des filières se mettent alors en place : elles sont transformées, adaptées, financées voire démondialisées et reterritorialisées (Carroué, 2020 ; Corade, 2022). Des politiques publiques cherchent à sauvegarder certaines filières face aux crises (Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, 2023), tandis que des formes alternatives et plus locales émergent également. Cet axe invite ainsi à étudier les discours et les nouvelles pratiques qui accompagnent l’ensemble des recompositions de ces filières.

Axe 3 : Suivre les ressources dans leurs filières, quelles implications méthodologiques ?

L’étude des ressources à travers la notion de filière comporte enfin des implications méthodologiques. Alors que David Harvey (1990) invitait déjà à relier les espaces productifs dans les Suds aux espaces de consommation des Nords, en retraçant le parcours de différents objets de consommation, l’approche par le « suivi d’objet » (Marcus, 1995 ; Cook, 2004 ; Akbari, 2020 ; Choplin, 2023) s’est progressivement développée. Dans cette perspective et en s’intéressant à une ou plusieurs filières, il s’agit de suivre la ressource dans ses transformations et dans ses circulations mondialisées, comme cela a déjà été fait pour de nombreux objets matériels, que ce soit, entre autres, de l’argent (Christophers, 2011), des gravats (Mongeard, 2017), une rose (Drevet Demettre, 2022) ou un champignon (Tsing, 2017). L’approche par la filière s’inscrit dans une méthodologie comparative, qui permet autant de suivre des routes marchandes mondialisées (Doron, 2022) que d’analyser de façon croisée l’ancrage territorial de filières productives et commerciales dans différents contextes nationaux (Choplin, 2023 ; Le Borgne, 2023).

Quelles sont les conséquences concrètes sur le terrain de cette approche par le suivi ? Quelles méthodes qualitatives, comme le fait de monter dans un camion (Choplin et Lombard, 2010), et quantitatives, comme le bilan des flux de matière (Augiseau et Barles, 2018) ou le Life Cycle Assessment, qui repose davantage sur une approche par le produit (Hunt et al., 1996 ; Arshad et al., 2022), peuvent être mises en place ? Est-ce encore possible de suivre la ressource dans l’ensemble de ses transformations (Hulme, 2016) ? Quels sont les obstacles à cette méthode de suivi ?

Ce numéro sera ainsi l’occasion de découvrir des méthodologies originales, s’adaptant à des terrains, objets de recherche et contextes spécifiques. Les contributions sont amenées à discuter de l’intérêt de l’approche par la filière, et plus largement des méthodes et protocoles mobilisés pour étudier les ressources.

Calendrier de l’appel

  • Envoi des résumés aux 3 coordinateurs du numéro avant le vendredi 20 septembre 2024 inclus
  • Retour aux auteur·ices : lundi 30 septembre 2024
  • Envoi des articles : vendredi 31 janvier 2025 (inclus)
  • Publication prévue durant l’été 2025

Coordination

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