Explorer avant de planifier, la prospective stratégique au service de la transition des territoires

Dans le cadre du n°430 « Prospective : au défi des utopies et du réel » de la revue Urbanisme, Hiba DEBOUK, Directrice déléguée à la direction territoires d’AREP, présente les études prospectives « Luxembourg in Transition » et « Grand Annecy – Agglomération Archipel ». Menées par AREP, elles constituent des exemples du déploiement de la prospective au service de la transition écologique des territoires.

L’exercice prospectif a ici été employé pour explorer des trajectoires et des scénarios qui donnent à voir aux décideurs des outils et des moyens leur permettant de faire tendre leurs territoires vers des modèles plus vertueux. Le changement climatique qui pèse sur l’avenir de l’humanité s’insinue progressivement dans l’histoire et émerge de plus en plus comme un sujet de préoccupation politique et citoyenne.

Le pronostic est, en effet, inquiétant avec des impacts qui s’annoncent « graves, étendus et irréversibles » selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) : crues, épisodes extrêmes, risques naturels aggravés, paysages naturels, agricoles et forestiers en mutation, écosystèmes perturbés et menacés… Et les conséquences tendent malheureusement à se multiplier et s’intensifier dans les territoires depuis plusieurs années.

« Gouverner, c’est prévoir », dit une vieille maxime. Et avec un changement climatique qui s’accélère, les acteurs des territoires s’accordent aujourd’hui sur l’urgence et l’importance d’agir pour mettre en place des solutions à court, moyen et long terme. C’est ce que Dipesh Chakrabarty appelle « la prise de conscience de la planète et de son histoire géobiologique ».

Dans ce changement du rapport de l’humain au temps et au monde, nous assistons depuis quelques années au retour en grâce de la planification comme outil de projection des territoires sur l’avenir dans l’action politique. Car dans la réponse à la crise écologique, le temps long revêt une importante toute particulière. Son anticipation est fondamentale : elle constitue la matrice des stratégies, des accords et des traités relatifs à l’atténuation des émissions comme à l’adaptation des territoires aux effets du changement climatique.

La transition écologique, la protection de la planète et la préservation des écosystèmes ne peuvent se penser et se poursuivre qu’à l’échelle de ce temps long qui transforme le rapport de l’action publique à la durabilité de ses conséquences. Et comme le soutiennent Dominique Bourg et Kerry Whiteside :« les problèmes écologiques nous font passer [au monde] de la biosphère, à nouveau clos et resserré, caractérisé par un allongement du temps de l’action. Nous n’habitons plus le monde des modernes ».

Si le temps court est celui de l’action, ou de la réaction, immédiate et nécessaire dans un monde qui subit l’effet de l’urgence climatique, le temps long est celui de la réflexion et de l’anticipation, celui qui prend soin des générations futures et qui questionne nos droits par rapport aux leurs. Et même si ces deux échelles temporelles semblent exprimer une certaine dualité, elles ne s’opposent pas mais se complètent. Le temps long a besoin de temps court pour tester et mettre à l’épreuve les stratégies du long terme avant que celles-ci ne soient déployées et généralisées. Et inversement, le temps court a besoin de temps long pour anticiper les conséquences et implications des actions court-termistes.

Penser le temps long, c’est préparer le futur dès maintenant, c’est organiser l’action collective dès aujourd’hui en vue d’une espérance plus ou moins lointaine. Nous constatons d’ailleurs qu’au cours de l’histoire, l’anticipation du long terme s’est régulièrement posée en réaction ou en anticipation à une crise exceptionnelle. C’était notamment le cas dans des politiques territoriales planificatrices comme la transformation hygiéniste de Paris sous le Second Empire pour répondre aux problèmes d’insalubrité, les reconstructions post-guerre dès les années 1950 qui avaient pour objectif de résoudre la crise du logement et les transitions de villes européennes comme Malmö, Manchester au XXe siècle pour faire face au déclin post-industriel.

Or, le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources, l’érosion de la biodiversité sont aujourd’hui des bouleversements majeurs qui nous invitent à penser autrement et collectivement notre rapport au futur. Penser le temps long, c’est aussi mobiliser de nouveaux récits. Car la question écologique ne progressera que si l’on arrive à changer de paradigme, de mode de penser… Et c’est là que la prospective joue un rôle intéressant pour accompagner les émergences et multiplier les possibles avant le déploiement des « plans ».

La prospective est une discipline de réflexion tournée vers l’avenir, sans chercher à le prédire. Elle vise à éclairer les décisions et les choix politiques d’aujourd’hui, en intégrant les enjeux de demain et en explorant des chemins possibles. Son objectif est de comprendre, d’explorer et d’anticiper, avant de permettre aux décideurs de planifier et d’agir. Elle a l’avantage :

  • d’accepter l’incertitude quand la planification ne le permet pas. Son côté exploratoire lui permet de s’intéresser aux options possibles et d’inclure une réflexion sur ce qui est probable, possible et souhaitable avant d’interroger l’action politique. Son atterrissage peut tout de même être planificateur et elle peut ainsi précéder et orienter l’esquisse de nouveaux plans stratégiques.
  • de pouvoir être collective, elle peut ainsi démocratiser et égaliser le débat quand elle est participative, car personne ne connaît le futur avec certitude. Et bien qu’historiquement fondée à l’articulation du monde des experts et de celui des acteurs politiques, la discipline s’ouvre de plus en plus à la participation citoyenne, depuis quelques années, avec l’enjeu d’une meilleure prise en compte de l’intérêt général.
  • de convoquer de nouveaux imaginaires pour ouvrir le débat et nourrir des visions nouvelles et innovantes. Elle invite à “désincarcérer le futur” comme le dit le manifeste du collectif d’auteur de science-fiction Zanzibar. Elle donne ainsi au futur des représentations multiples possibles qui pourront ensuite orienter l’action politique ou sociale, ou même orienter l’inaction sur le modèle de la fresque du renoncement.

 

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