Face aux urgences, comment les États et les villes doivent-ils coopérer pour réinventer les territoires ?

À l’occasion de la  Conférence internationale « Le réenchantement des villes : Urbanisme en Francophonie, horizon 2050» qui s’est tenue les 2 et 3 octobre 2024 à Paris, élus et experts sont revenus sur comment parvenir à un urbanisme plus durable et inclusif face aux urgences climatiques, environnementales et sociales. C’est justement le cœur du propos de la Table ronde n°1 intitulée “ Face aux urgences, comment les États et les villes doivent-ils coopérer pour réinventer les territoires ?” (Re)découvrez les temps forts de cette première table ronde à travers la synthèse de Vanille Guichard, architecte-urbaniste et Directrice aménagement et renouvellement urbain à la ville de Koungou à Mayotte.

Chaque table ronde, à l’exception de la première, a été pensée de sorte à réunir autour de la table trois élus ainsi que trois experts afin de permettre un dialogue équilibré et constructif entre ces deux acteurs majeurs de la fabrique des territoires.

À l’issue de l’intervention des panélistes, une session de Questions/Réponses a permis au public d’échanger directement avec les différents panélistes, l’occasion d’approfondir certains aspects des discussions et de participer activement au débat.

Enfin, dans la continuité de leur mobilisation dans le cadre du Plaidoyer des jeunes professionnels de la fabrique urbaine, nous avons tenu à faire entendre leurs voix à un autre moment fort de la conférence ;  celui des tables rondes.  Ainsi, sans en connaitre le contenu, à l’issue de chaque table ronde, un membre de ce collectif a réalisé à l’oral une synthèse d’une dizaine de minutes. Cette synthèse entend revenir sur les moments, les enseignements et les concepts clés partagés, jugés utiles pour travailler au projet de la ville de 2050 de leur point de vue.

Contextualisation

Thèmes : gouvernance ; coopération ; relations transfrontalières ; politique ; finances ; planification ; villes intermédiaires ; villes nouvelles ; urbanisme informel ; habitat d’urgence

Face à l’inéluctabilité des limites des ressources naturelles, il y a urgence à agir, en transformant le fonctionnement des villes vers plus de sobriété, de résilience et d’inclusion. Mais cette transition écologique, selon l’expression élaborée par Rob Hopkins2, doit être aussi l’occasion d’inventer un urbanisme durable qui serait capable d’une gestion raisonnée. Si la responsabilité des États en matière de gouvernance mondiale, de régulation et de financement demeure fondamentale, c’est bien à l’échelle locale que les transformations se mettront en œuvre. C’est pourquoi les élus locaux ont un rôle essentiel pour protéger les établissements humains, les milieux naturels et la biodiversité. Les collectivités locales disposent de leviers importants en matière de planification stratégique, de réglementation, de commande publique, de soutien financier et technique, mais sans le soutien des États, elles voient leurs capacités d’action diminuer. Les pouvoirs locaux et nationaux ont la responsabilité d’actionner, ensemble, leurs leviers pour imaginer la transformation des territoires face aux urgences écologique et sociale, dessiner les grandes orientations et mesures d’un programme pour des territoires vivants-désirables et impliquer tous les acteurs des territoires dans cette aventure collective.

Un nouveau modèle de gouvernance, d’articulation entre le local et le global où l’expérimentation locale serait centrale, permettrait d’assurer le lien entre l’État, les collectivités et les citoyens, mais aussi de relever les défis de la transition écologique. L’AIMF souhaite soutenir et aiguiller l’engagement de tous les acteurs des territoires francophones pour que nous soyons, collectivement, à la hauteur des enjeux. En s’appuyant sur cette scène internationale francophone sur laquelle les problèmes d’urbanisme seront posés, l’idée serait ensuite de les relayer auprès de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et des États membres.

Les questions clés :

  • Comment fabriquer la ville, en tenant compte de l’existant et de l’urgence ?
  • Comment fixer un horizon en dialogue entre les États et les villes ?
  • Comment organiser les coopérations des États et des Villes, condition indispensable pour
    réinventer les territoires et faire face aux urgences climatiques, démographiques et
    sociales ?
  • Comment formaliser ces coopérations dans la durée et dans une forme de gouvernance
    renouvelée ?

Session 1 : la résilience des villes

Modérateur : M. David ABITTAN (rédacteur en chef de tema.archi, Directeur associé de Temaprod)

Intervenants

  • Mme Denise BAX (Secrétaire du Réseau des Villes Créatives de l’UNESCO – RCVU et Coordinatrice de la Plateforme des Villes de l’UNESCO (PVU))
  • M. Yves-Laurent SAPOVAL (Délégué ministériel pour la ville durable à l’international – Urban Envoy- Direction générale de l’Aménagement, du logement et de la nature)
  • Mme Lamia EL AARAJE (Adjointe à la Maire de Paris en charge de l’urbanisme, de l’architecture, du Grand Paris, de l’accessibilité universelle et des personnes en situation de handicap)
  • Mme Brigitte BARIOL MATHAIS (Déléguée générale de la Fédération Nationale des Agences
    d’Urbanisme – FNAU)
  • M.Attahi KOFFI  (Urbaniste, géographe et ancien Directeur Général de l’Agence d’Urbanisme du District Autonome d’Abidjan)

Intervenant.e.s de la Table ronde n°1-Session 1

De gauche à droite : M.David ABITTAN, Mme Lamia EL AARAJE, Mme Brigitte BARIOL MATHAIS,  M.Yves-Laurent SAPOVAL, Mme Denise BAX, M.Attahi KOFFI

© Crédit Photo : William Gouzien, octobre 2024

Session 2 : l’alliance des territoires

Modérateur : M. David ABITTAN (rédacteur en chef de tema.archi, Directeur associé de Temaprod)

Intervenants

  • M.Sami KANAAN (Conseiller administratif de Genève) – Message vidéo
  • M. Jean-Marie QUÉMÉNER (Directeur du programme bâtiment et aménagement au Secrétariat général à la planification écologique)
  • Mme Fatimetou ABDEL MALICK (Présidente du Conseil régional de Nouakchott, Vice-Présidente de l’AIMF, Présidente de CGLUA)
  • Mme Nathalie BLANC (Directrice de recherche au CNRS et Directrice du Centre des Politiques de la Terre)
  • M. Karim ELOUARDANI (Directeur des Programmes, Conseiller Stratégie, Suivi et Evaluation des Projets à la Fédération Nationale des Communes Tunisiennes)

Bien qu’à distance, M.Sami KANAAN (Conseiller administratif de Genève) a tenu à adresser un message (vidéo), sur la manière dont peuvent coopérer les villes et les États afin d’être plus pertinents tant à une échelle nationale et que locale, à travers l’exemple la coopération transfrontalière du Grand Genève. “Les villes sont aux premières loges de la réalité des populations dans tous les domaines : le logement, les transports, la cohésion sociale, l’urgence climatique et l’aménagement urbain. Comme elles ne définissent pas le cadre normatif, contrairement aux États, elles sont obligées d’être d’autant plus innovantes et pragmatiques pour aborder concrètement les soucis de leurs populations et trouver des solutions durables.” Visionnez l’entièreté de son message ci-dessous !

Après ce message édifiant de M.Sami KANAAN, les intervenants ont pris place sur scène et ont poursuivi les échanges en mettant en exergue les différences et les spécificités de leurs territoires tout en proposant divers outils que les villes peuvent partager.

Intervenant.e.s de la Table ronde n°1- Session 2

De gauche à droite : David ABITTAN, Mme Nathalie BLANC, Mme Fatimetou ABDEL MALICK, M. Jean-Marie QUÉMÉNER

© Crédit Photo : William Gouzien, octobre 2024

Intervention de M. Karim ELOUARDANI (Directeur des Programmes, Conseiller Stratégie, Suivi et Evaluation des Projets à la Fédération Nationale des Communes Tunisiennes)

© Crédit Photo : William Gouzien, octobre 2024

Synthèse de Mme Vanille GUICHARD

Vanille Guichard est Architecte-Urbaniste et Directrice aménagement et renouvellement urbain à la ville de Koungou à Mayotte.

Toutes les expériences évoquées montrent un grand panel de problématiques dans les territoires, mais aussi un grand nombre de solutions qui ont été testées.

Les 12 témoignages relèvent de contextes différents mais ont en commun des problèmes qui s’accélèrent tandis que l’action publique est trop lente. Un des intervenants a aussi souligné qu’il ne faut pas aller trop vite pour des transformations durables. Alors comment faire ? Il est urgent d’intervenir et de tester des solutions concrètes pour les gens à partir du terrain, des alternatives aux modèles que nous connaissons. Il ne faut pas attendre d’avoir des solutions toutes faites sur le papier – car elles n’existent pas – mais agir et communiquer sur les retours d’expérience et construire petit à petit de nouveaux modes opératoires adaptés aux territoires. Ces cadres repensés à partir du terrain seront nécessairement portés par les élus, à l’échelle des villes. Cela afin de permettre l’enrichissement et l’évolution des cadres plus larges à l’échelle nationale ou internationale, dont la justesse des actions se mesure au développement des territoires réalisé par eux-mêmes.

3 idées principales sont ressorties de ces deux tables rondes

Coopérer est essentiel pour partager les retours d’expériences. C’est une évidence, utile à rappeler car elle permet aux projets de se requestionner et d’évoluer. Il s’agit de parler « concret » car c’est dans la réalisation que les personnes se retrouvent.

Les projets et donc le changement demande d’accepter de rompre avec certaines pratiques tout en partant du local. Cela implique d’être précis et de territorialiser les problématiques : informel et insalubre n’est pas la même chose.

« Ne pas angéliser l’informel, souvent les gens n’ont pas le choix » : partir des besoins des gens sur le territoire permet de tester des solutions adaptées afin de ne pas plaquer des « bonnes pratiques » parfois décorrélées du terrain.

Tout d’abord, les villes de Paris et d’Abidjan nous ont partagé des outils mis en place pour accompagner le changement (PLU bioclimatique, piétonisation des quais de Seine pour Paris). A Abidjan, la croissance rapide de la ville a incité l’agence d’urbanisme à tester des outils en fonction des besoins. Par exemple, elle a d’abord mis en place un observatoire pour projeter son développement avant de créer 1 PLU par unité urbaine. Pour cela, la ville d’Abidjan est allée au-delà de la simple règle d’urbanisme édictée hors-sol par la mobilisation d’acteurs sur le terrain.

La ville de Paris a démontré que résilience ne veut pas dire tout accepter et que le changement demande parfois de prendre des décisions impopulaires avec un portage politique fort. Expérimenter des solutions est un risque et implique des étapes difficiles mais nécessaires. C’est accepter de ne pas toujours faire consensus.

La FNAU, le ministère de la transition écologique, l’UNESCO et le réseau des villes créatives ont mis en avant plusieurs outils qui sont à la disposition des villes pour communiquer et partager leurs retours d’expérience à une échelle plus large.

La 2ème table ronde a permis d’aller plus loin avec :

  • Le Grand Genève qui nous a parlé des espaces transfrontaliers.
  • Nouakchott qui nous a montré les enjeux complexes de son territoire pris entre mer et désert et pour lesquels un projet d’accès a l’eau a été permis grâce à une coopération riche entre Bordeaux, Metz, Montpellier, Marseille et Nouakchott.
  • La Tunisie, avant-gardiste dans son exposition aux effets du changement climatique avec 50°C et de fréquentes coupures d’eau, qui a des groupes d’étude rassemblant des villes aux problématiques similaires pour mutualiser leurs retours d’expérience et permettre leur montée en compétence.
  • Le secrétariat général à la planification écologique en France qui a mis en place des coopérations territoriales qui démontrent que les nouveaux besoins font nécessairement émerger de nouveaux métiers.
  • Le regard scientifique du centre politique de la terre a donné l’exemple du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) pour montrer qu’il est nécessaire de dépasser des contextes et acteurs différents pour agir. Ce témoignage a insisté sur l’importance de dépasser l’intention pour la faire atterrir sur le territoire et ses spécificités et sur la nécessité de mettre de la souplesse dans les cadres normatifs afin de faciliter l’action.

Développer le territoire face à l’urgence c’est générer le changement, accepter de ne pas faire toujours consensus et de passer des étapes difficiles ou des prises de décision parfois impopulaires pour passer à l’action et remettre l’intérêt général au centre. C’est éminemment politique, nécessairement dans la coopération et ça part du territoire et de son échelle locale.

La notion de limite a été évoquée à plusieurs titres : sur la limite de nos modes opératoire ou encore la limite de nos territoires face aux besoins toujours plus grands à satisfaire. La ville de Koungou à Mayotte où je travaille illustre bien les problématiques dont on vient de parler. Elle incarne et concentre l’ensemble des sujets évoqués par ces deux tables rondes. L’île de Mayotte est un petit territoire au milieu de l’océan indien, plus jeune département français à double titre. Etant une île, elle ne pourra pas s’étendre davantage et doit donc trouver des solutions propres aux problèmes qu’elle rencontre. Cumulant de nombreuses difficultés (crises de l’eau, crises sociales, sécuritaires, sanitaires, du logement, etc.), cette île est aussi pleine de ressources et de potentialités pour son développement.

Les crises sont aussi des opportunités pour agir et tester des solutions. Elles permettent aux territoires d’être démonstrateurs.

A Mayotte, la résorption des bidonvilles pour permettre un accès au logement des populations est un enjeu majeur. Pourtant, de nombreuses opérations ont été réduites à l’apports de réseaux sans toucher aux habitations précaires. Pourquoi ? La dérogation du droit au séjour propre à ce territoire ne permet pas l’accès aux aides et donc aux logements sociaux aux personnes détentrices de titre de séjour 1 an, parfois renouvelé depuis 10, 15, 20 ans. Par ailleurs, le faible nombre de logements sociaux éloigne d’autant plus les habitants de leur accès à un logement. Face à la forte croissance des bidonvilles, dont beaucoup en zones exposées aux risques, il devient urgent de mesurer l’impact de l’inaction et tester des solutions pour réinventer le cadre normatif jugé inadapté.

A Majicavo, un bidonville situé sur un talus a fait face à des aléas de chutes de blocs dans le village qui ont rendu d’autant plus urgent l’intervention des pouvoirs publics pour la sécurité des personnes. Le suivi social des ménages, la démolition du bidonville, le relogement en urgence des populations et la construction sur la partie préservée des risques d’un nouveau type de logement a été précurseur. Accompagnée de sa maitrise d’œuvre (BE Harappa) et des services de l’Etat, la ville de Koungou a testé un modèle de logements à couts maitrisés grâce à l’industrialisation de sa construction. Après la construction de ces 30 nouveaux logements à Majicavo, un décret a été pris par l’Etat pour la création d’un nouveau statut de logements : le logement locatif très social adapté. Cette petite opération a démontré la possibilité de faire et le besoin de créer un cadre juridique et financier ainsi que des opérateurs sociaux pour ce type de produits logements.

C’est donc par la démonstration à petite échelle que le territoire a porté, qu’il a initié un changement à plus grande échelle. Le changement ne pourra se concrétiser qu’à partir des besoins observés sur le terrain et des spécificités de chaque territoire, meneurs de leurs propres réinventions.

Cette petite histoire montre qu’il est possible d’agir, que la ville de Koungou l’a démontré et qu’il est possible de faire du beau dans ces territoires.

Alors, face aux urgences, comment les Etats et les villes doivent-ils coopérer pour réinventer nos territoires ? Il n’y a pas de copier-coller, chaque territoire a ses spécificités. Il n’y donc pas une réponse mais plusieurs et elles partiront toutes du terrain, pour résonner par la coopération, être éprouvées scientifiquement, soutenues par les Etats et organisations internationales, pour enfin revenir sur le terrain, et atterrir.

Pour en savoir plus sur

La Conférence internationale « Le réenchantement des villes : Urbanisme en Francophonie, horizon 2050 »: Conférence internationale « Le réenchantement des villes : Urbanisme en Francophonie, horizon 2050 » – Urbanisme Francophonie (urbanisme-francophonie.org)

Découvrez la Synthèse (générale) Conférence « Le réenchantement des villes : Urbanisme en Francophonie, horizon 2050 » : Synthèse Conférence « Le réenchantement des villes : Urbanisme en Francophonie, horizon 2050 » – Urbanisme Francophonie (urbanisme-francophonie.org)

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