Le rapport de François Schuiten, auteur de bande dessinée, illustrateur et scénographe belge, à la Francophonie est double car il vient d’un pays, la Belgique, où l’on parle français et flamand. Le français est la langue dans laquelle il pense et il dessine mais ses racines sont profondément flamandes.
Sa culture est ancrée dans la langue française. Il ressent par ailleurs une familiarité dans les villes francophones mais en même temps il sait que toutes ces villes sont traversées par d’autres langues et c’est ce plurilinguisme et ce florilège de langues qu’il aime, notamment à Bruxelles. Il n’aime pas l’idée de pureté, mais au contraire la mixité et l’hybridité le rassure, car selon lui, c’est cela qui enrichit la communication et le regard que l’on a sur le monde.
Il vient d’un pays, la Belgique, où la bande dessinée a été sans doute l’une des plus intéressantes dans les années 1950. Jeune dessinateur, il regardait ce qui se passait du côté français. C’est à partir de la France qu’il y a eu le mouvement de révolution de cette nouvelle bande dessinée, plus adulte avec cette dimension de science-fiction, de libération et d’audace graphique et narrative. Depuis 1980, il travaille avec le scénariste Benoît Peeters à la série “Les Cités Obscures”. Il pense d’ailleurs que les villes ont un côté mystérieux et invisible et c’est ce qui leur a donner envie de raconter des histoires car tout peut être possible.
Pour lui, les villes de demain ou les utopies urbaines, ne seront plus aussi radicales, en réalité elles seront plus complexes et variées et seront sans doute plus difficiles à dessiner : peut-être plus chaotiques et avec des ruptures, des aspects patrimoniaux et de recomposition infinie de villes qui se réinventent et se reconstruisent suivant de nouvelles contraintes.
“Cette subtilité-là n’est pas facile à rendre en images car les gens aiment bien avoir des images relativement simples et fortes. La ville de demain ne devra pas figée, elle sera sans doute mobile et capable de s’adapter et de se transformer. Selon lui, il faudra modifier profondément notre façon de vivre en ville”.
Ce qui manque aux villes, c’est la capacité à se projeter avec audace, en prenant des risques et en imaginant en dystopie le pire comme le meilleur. Les Maires doivent être capables de regarder ce qu’une ville peut devenir en fonction des différents phénomènes auxquels elle doit faire face (réchauffement climatique, zones de non droit…) et aussi de la projeter dans une vision lumineuse, porteuse et apaisée.
“C’est dans cette tension que les élus locaux doivent réfléchir la ville. C’est dans cette audace de voir ces deux visions, si opposées, que se créé souvent les idées les plus inintéressantes”.
Selon lui, il faudrait oser créer des lieux où on rêve la ville en demandant à des artistes (philosophes, écrivains, photographes, réalisateurs…), de la rêver pleinement et créer des laboratoires de recherche pour créer une culture de la ville. Selon lui, il manque des histoires de villes. Il est intéressant de montrer comment la ville, avec toutes ses couches, parfois elle oublie, elle devient amnésique et perd l’écoute de ses racines. En même temps, il faut être capable de voir comment ses racines peuvent trouver échos demain ou après-demain. Il y a là encore une forme de tension entre ce qui est invisible et oublié et ce qui va arriver.
“Une ville s’ennoblit parce qu’elle est traversée par des récits, donc il nous faut des histoires, qui la réinventent, qui la secouent, qui la troublent et qui nous émerveillent. C’est cela qui construit l’imaginaire de la ville”.
L’espace francophone est représenté pour lui par les artistes, par les écrivains, par les chanteurs, par les voix et les cris.
“C’est par eux que je sens une ville. C’est beau quand je traverse un lieu, j’entends une musique, des phrases, je vois des images et c’est tout ça qui construit l’imaginaire de la ville. Cet imaginaire souvent on ne se rend pas compte à quel point il est important et c’est ce qui nous attire, ce n’est pas seulement les pierres qui peuvent se refaire, mais l’imaginaire c’est plus compliqué à refaire, ça prend beaucoup de temps et c’est une chose de magnifique”.
Selon lui, Bruxelles est une ville qui n’est pas assez filmée, pas assez photographiée et pas assez chantée alors qu’elle est une ville où il y a sans doute le plus de diversité culturelle au monde. Très longtemps, les dessins et les récits étaient concentrés sur le plus large public qu’était le public francophone. Les dessinateurs belges devaient effacer leurs origines. Quand il a commencé le livre “Brüsel” (5e album de la série Les Cités obscures) avec Benoît Peeters, beaucoup de gens étaient sceptiques or il leur semblait normal de parler de la ville qu’ils connaissaient le mieux. Aujourd’hui, les temps ont changé, il faut parler de sa ville. Personne ne peut mieux parler de sa ville que celle ou celui qui y vit.
Il imagine des transports du futur plus aériens et légers, en dessinant des engins volants, des passerelles, des jardins suspendus…, plutôt que les voitures qui encrassent les villes et qui embouteillent les rues, pour créer un rapport plus doux avec la ville, qui serait plus silencieuse.
“Plus il y aura de diversité et plus ça sera porteur d’émotion et de plaisir à vivre en ville. Il faut donc arrêter le modèle tout voiture des années 50-60-70, qui a des conséquences néfastes encore aujourd’hui”.
Pour lui, les espaces publics devraient être des lieux plus mystérieux. Ce qui est fascinant se sont les hasards, ce qui n’est pas prévu réellement, ce qui n’est pas planifié et ce qui échappe à toute logique. Il se méfie donc des grandes planifications qui créé des espaces fermés, il faut certes des jardins mais aussi des parties sauvages qu’on ne comprend pas.
“Pourquoi devrait-on tout comprendre et tout voir ? Ce qui est beau dans une ville c’est le sentiment que l’on a quand on n’a pas tout vu et qu’on a envie d’y revenir. Les espaces publics devrait se réinventer en laissant une place à l’imaginaire des gens”.
Il vient d’une famille d’architectes à une époque où l’architecture a quand même fait pas mal d’erreurs. Dans les années 1960-1970, il y avait des projets certes affolants, simplistes et néfastes pour l’époque actuelle mais il y avait un rêve. Aujourd’hui, il ne sent plus assez ce rêve. Il aimerait qu’on donne à voir les villes de demain, les sentir et qu’on lui donne envie d’y vivre.
“On parle beaucoup du monde végétal mais comment le monde animal reviendrait en ville ? On ne peut pas déconnecter la nature de ses multiples dimensions. Il faudrait réinventer un monde animal en ville, sujet peu abordé jusqu’ici”.
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