Jérôme Chenal, fait partie de ceux qui pensent que le langage structure la pensée. Suisse, il a un rapport individuel au français, langue qu’il emploie majoritairement dans son quotidien. Il est aussi de ceux qui prônent une contextualisation architecturale et urbanistique, mise à mal par des injonctions internationales qui obligent les bailleurs à appliquer une même méthode dans des villes africaines sensiblement différentes.
Son rapport à la francophonie est lié avant tout au fait qu’il réfléchit, pense et parle en français dans la majeure partie de sa journée, même si dans certaines institutions il parle aussi en anglais. Le français est la langue avec laquelle il conçoit et celle avec laquelle il a des idées.
“Comme je suis de ceux qui pensent que le langage structure la pensée, j’ose imaginée que j’ai des idées qui seraient différentes que si je parlais anglais, le japonais ou le mandarin“.
Il fait partie de ceux qui pensent que le langage lui-même devrait se voir dans la rue, alors qu’en 2021 la tendance est plutôt à la globalisation qui fait que cette donnée linguistique a disparu au profit d’autres types de données.
“Je pense sincèrement que la ville est finalement la mise en espace des gens qui vivent. Il y a une tendance à la globalisation qui fait que tout se ressemble un petit peu. On a des injonctions internationales qui sont aussi là pour densifier mais ça a une tendance à faire en sorte qu’on retrouve les mêmes spatialités partout. Je pense qu’intrinsèquement, si on laisse les choses un peu plus se faire et qu’on clamait un peu ces injonctions internationales, on se retrouverait sur des spatialités extrêmement différentes à Paris, à Lausanne, à Libreville ou à Québec”.
Il considère qu’en matière d’urbanisme et d’architecture, il y a quatre variables (culture, budget, climat, morphologie) et qu’aujourd’hui elles ne sont pas prises en compte dans la majorité des projets urbanistiques et architecturaux.
“On veut faire la même chose absolument partout. Or je pense qu’on doit remettre de l’ouvrage sur le métier et commencer à se réinterroger jusqu’où on va aller avec ces questions de densité. Est-ce que véritablement, ça donne des résultats ?“.
Selon lui, il y a des différences notables de gouvernance au sein de l’espace francophone, même entre deux pays séparés par une même frontière, tel que la Suisse, pays décentralisé et la France, pays centralisé. Il reste convaincu que c’est au niveau des Maires que les choses doivent se faire.
“Une ville décentralisée a un pouvoir local qui amène des réponses économiques, sociales et environnementales, parce que je crois que la proximité créé des choses”.
Mais le rôle du Maire dépend du processus de décentralisation, qui n’est pas encore assumé en Afrique, ce qui créé des confusions. Selon lui, il ne faut pas contraindre les villes africaines à un modèle de gouvernance, ce qui importe c’est la volonté sociétale pour déterminer soit un délégué du gouvernement, soit un Maire élu à la tête des territoires.
Son attrait pour les villes africaines vient du fait de la complexité des territoires. Si l’on prend les indicateurs internationaux, certaines villes ne devraient pas fonctionner du tout (ex : Lagos il y a des problèmes d’insécurité et d’hygiène publique mais ça fonctionne). Ce sont de vraies sources d’inspiration et il invite à aller puiser dans ces villes pour voir comment elles fonctionnent au quotidien. Il est convaincus que les innovations au Sud pourraient être réutilisées au Nord.
Il pense aussi qu’il faut arrêter d’imaginer qu’il y a une seule manière de faire et qu’il faut commencer à assumer cette diversité francophone :
“La richesse de la langue française devrait nous permettre de tendre vers des choses multiples et hétérogènes plutôt que simplifié et homogène, avec un seul modèle. On a une richesse conceptuelle qui nous permet de définir de nombreux concepts et innovations et se serait bête de ne pas utiliser la richesse d’une langue pour conceptualiser l’urbanisme. La langue française devrait faire la promotion de cette contextualisation et de cette richesse”.
Pour lui, la francophonie existe à partir du moment où on veut y croire. Le fait de la nommer c’est déjà reconnaître qu’elle existe. Elle existe d’ailleurs à travers un moyen de communication qu’est le français. Mais toutes les villes francophones n’ont pas les mêmes cadres conceptuels, par contre elles auront une même manière de rentrer dans la conceptualisation des choses car elles utilisent les mêmes mots pour conceptualiser.
“La francophonie devrait servir à cette identité linguistique et conceptuelle, si elle n’est que politique, elle ne sert pas à grand-chose car elle se vide de sens. La francophonie politique devrait permettre de mettre le doigt sur ces spécificités des idées francophones. La science francophone et la manière d’appréhender les problèmes en français ne seront pas les mêmes qu’en anglais ou en mandarin“. On sent à l’international une envie de redonner un souffle à la francophonie. Certaines organisations ont fait des petits projets, mais là on a besoin d’imaginer les choses en grand pour assumer cette francophonie (…). Il faut faire la promotion des langages multiples. L’hégémonie réductrice d’une manière de voir les choses est extrêmement dommageable à long terme”.
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