Cet article, rédigé par Bertrand Folléa, Cyril Gomel et Jean-Pierre Thibault, est tiré de la note Réussir la transition écologique par l’approche paysagère publiée par La Fabrique Écologique en octobre 2023. Issue des travaux d’un groupe de travail pluridisciplinaire, elle expose une approche « paysagère » territoriale, transversale et de concertation, très prometteuse pour la transition écologique.
Le débat public sur l’aménagement du territoire en vue de la transition écologique a pris ces derniers temps des tournures polémiques, entre les éoliennes qui vont « dénaturer nos paysages » et la politique du zéro artificialisation nette qualifiée de « ruralicide ». Il est vrai que l’urgence des enjeux environnementaux conduit trop souvent les techniciens à considérer que les affects, la concertation voire le débat démocratique constituent des freins aux transformations qu’ils jugent légitimes. Cette posture surplombante, voire méprisante, nourrit des contestations, ainsi légitimées, certaines d’entre elles se mobilisant « au nom du paysage », dont le mythe fondateur est “la France éternelle”, figée dans un âge d’or fantasmé qui prend racine dans nos campagnes millénaires. Disons-le tout net : cette vision fixiste (donc nostalgique, passéiste et défensive) du paysage n’a pas plus de sens ni d’avenir que la technocratie arrogante.
Dans sa dimension matérielle et objective, le paysage-territoire évolue tous les jours : par l’action des humains qui cultivent, élèvent, gèrent, aménagent, détruisent et construisent ; mais aussi par l’action des non-humains : celle des plantes qui naissent, poussent et meurent, transformant sans cesse les milieux, et celle des animaux, qui façonnent leurs biotopes de façon spectaculaire (comme le castor qui crée des milieux humides à grande échelle) ou discrète (tel l’écureuil qui disperse et plante les graines lourdes du chêne, du noyer ou de l’amandier en oubliant ses réserves). Même le monde minéral, dit non vivant, reconfigure le cadre terrestre, là-encore de façon modeste (l’érosion du ruisseau) ou puissante (tremblement de terre, tsunami, éruption volcanique).
Quant à la dimension immatérielle et subjective du paysage, celle des usages, perceptions et représentations par les populations qui le vivent et le façonnent, elle est tout aussi évolutive. C’est ainsi que les « affreux » pays de la montagne, de la mer, du désert ou des zones humides décrits comme tels au 18è siècle, sont devenus des espaces pittoresques ou sublimes au fil des siècles et des sensibilités culturelles.
A cette réalité mouvante et dynamique, consubstantielle au paysage, s’ajoute l’irrépressible nécessité d’adapter rapidement nos cadres et modes de vie du fait des enjeux écologiques et climatiques. Dès lors, il ne s’agit plus de réduire le paysage à un tableau passif ne pouvant que recevoir des « impacts » qu’il va falloir « éviter, réduire et compenser ». Une attitude aussi strictement défensive n’aboutira au mieux qu’à de micro-victoires au sein d’une masse de défaites déjà constatées. Il s’agit d’envisager nos paysages d’une autre manière, plus active, plus dynamique, plus offensive, plus positive, mais aussi plus globale et rassembleuse : quels paysages souhaitons-nous façonner ? Dans quel cadre et selon quels modes souhaitons-nous vivre ?
Une autre méthode : la démarche paysagère
Ce renversement de perspective (le paysage comme cause commune plutôt que comme conséquence fortuite) appelle à une tout autre méthode de l’aménagement que celle appliquée par notre ingénierie technique, quantitative et toute puissante. La nouvelle méthode d’aménagement, que l’on appelle démarche paysagère, consiste à mettre le désir de paysage au cœur de la transition écologique.
Une autre politique : par le paysage
Il faut désormais généraliser de façon ambitieuse les expérimentations menées à bas bruit et sans grands moyens depuis trente ans dans les territoires. C’est la démarche de paysage en projets qui permettra de concrétiser la transition écologique dans ses déclinaisons les plus complexes et ambitieuses.