Dans cette tribune ” Urbanisme en Francophonie” Monica Coralli (Architecte urbaniste, Maître de conférences à l’EAMAU et Chercheur au Laboratoire Architecture Anthropologie (CNRS-UMR LAVUE)) nous fait part de ses réflexions sur l’importance d’une approche équilibrée, où la pratique permet de tester et d’appliquer des concepts dans des situations réelles, tandis que la théorie développe la réflexion critique.
Les relations entre théories et pratiques constituent sans doute un défi majeur dans l’enseignement, en particulier en architecture et en urbanisme où la confrontation aux réalités est essentielle. La pratique permet d’expérimenter les concepts dans des situations concrètes, d’affiner la compréhension des contraintes et d’apprendre par l’expérience. Une tension, explicite ou latente, persiste entre les approches trop théoriques qui risquent de déconnecter les étudiants des réalités professionnelles et les approches trop pratiques qui peuvent limiter la réflexion critique et la capacité d’innovation. Trouver un équilibre entre ces deux dimensions est donc fondamental pour une formation complète et efficace.
Tout au long de leur parcours, les étudiants de l’EAMAU travaillent sur des cas concrets : l’apprentissage par le projet, en atelier, est une priorité dans tous les départements (architecture, urbanisme et gestion urbaine). Ces ateliers sont très souvent menés en collaboration avec des acteurs réels, favorisant ainsi une immersion progressive dans le monde professionnel. De plus, les stages obligatoires à chaque niveau du cursus (licence, master) permettent aux futurs professionnels de confronter les connaissances acquises au fil des années aux réalités spécifiques des agences, des services du ministère de l’urbanisme et de la construction, ou encore des services techniques des communes. Etant régulièrement en contact avec le milieu professionnel, ils affinent leurs compétences pratiques tout en faisant face aux contraintes et défis économiques, sociaux et environnementaux.
La participation des étudiants aux concours internationaux est une pratique bien ancrée à l’EAMAU. Ces concours représentent un moment fort de cohésion, car ils permettent la formation d’équipes mixtes où les compétences des trois filières se complètent et s’enrichissent mutuellement. Ils offrent également l’opportunité de développer des projets dans des conditions proches du monde professionnel, avec ses contraintes et ses exigences. Ainsi, les étudiants améliorent leur capacité à gérer le temps, à soigner la présentation graphique, à communiquer efficacement pour défendre leurs idées et à les exprimer de manière claire et compréhensible.
Le concours d’idées lancé par l’AIMF a été l’une de ces précieuses occasions. Au-delà de la reconnaissance que représente une sélection ou une récompense – valorisant le CV des étudiants et renforçant leur visibilité ainsi que celle de l’école -, ce prix a ouvert à nous tous de nouvelles opportunités en termes de réseautage. Surtout, il nous a permis de nous inscrire dans un débat actuel et crucial. C’est aussi une grande satisfaction personnelle de constater que les thématiques abordées depuis plusieurs années dans un cours de master sur la ville et le développement durable prennent vie à travers des projets concrets, transformant ainsi la réflexion académique en propositions tangibles pour atténuer la vulnérabilité d’un territoire.
D’habitude, les enquêtes de terrain précèdent la phase de conception, nécessitant du temps pour arpenter les rues, échanger avec les habitants et analyser en profondeur le contexte local. Cependant, pour ce projet, cette étape préalable a dû être contournée en raison des contraintes de temps, nous empêchant de nous rendre à Grand-Bassam. Nous avons dû donc nous appuyer sur la documentation disponible en ligne et sur la connaissance d’un territoire présentant de nombreuses similitudes: Saint-Louis du Sénégal.
La visite de terrain, rendue possible grâce à un financement conjoint AIMF / Mairie de Grand-
Bassam, a permis d’identifier certains écarts dans notre analyse, principalement dus à un manquede données initiales. Toutefois, les actions déjà entreprises et prévues par les acteurs locaux ontconfirmé la justesse de la majorité de nos intuitions. Par ailleurs, compte tenu du dynamisme dont fait preuve la Mairie, certaines actions inscrites dans notre proposition en trois phases (2030-2040-2050) pourraient être mises en œuvre plus rapidement que prévu. Par exemple, en ce qui concerne les drains, l’état d’avancement des travaux en cours suggère que ceux que nous avons proposés pourraient être réalisés d’ici 2030, au lieu de 2040. De même pour le transport fluvial, l’ouverture récente de l’embouchure crée les conditions favorables à des aménagements permettant sa mise en place rapidement.Enfin, parmi les stratégies principales visant à métamorphoser Grand-Bassam en une « ville éponge », où la relation à l’eau ne serait plus une vulnérabilité, mais une force, le renforcement des trames bleues et vertse est central. Cela inclut la création de bandes végétalisées et tampons, de bassins de rétention et d’infiltration, de ruisseaux vivants et de jardins de pluie. Toutefois, la mise en place de ces derniers semble plus incertaine en raison de la disponibilité foncière. En revanche,la végétalisation à l’échelle de la ville apparaît comme un levier essentiel, nécessitant des aménagements spécifiques pour protéger et restaurer, lorsque nécessaire, les zones humides.
Le travail de réflexion initié au sein d’un petit groupe d’étudiants accompagnés par leur encadrant, s’est croisé à celui porté par une Mairie fortement engagée, confrontée à un territoire présentant des défis majeurs. La survie de celui-ci dépend des actions urgentes qui devront être menées dans les années à venir. L’expérience effectuée est le fruit de plusieurs facteurs combinés, mais avant tout de la volonté de tous les acteurs impliqués et de la confiance que l’AIMF et le Maire de Grand-Bassam, M. J.-L. Moulot, nous ont accordée. Présenter ce projet au Conseil municipal et à la population bassamoise a constitué, à mon sens, un premier pas vers ce que N. Taleb appelle l’« antifragilité » face à l’imprévisibilité et à l’incertitude de notre avenir urbain.
Publiée une fois par mois, la tribune “Urbanisme en Francophonie ” se propose de recueillir les témoignages et les réflexions d’une personnalité autour d’un sujet de son choix. Cet espace ouvert permet aux auteurs de partager librement leur vision du monde et de contribuer à ce récit original. Tandis que le monde doit organiser sa transition vers un développement plus respectueux des personnes, des ressources de la planète et de sa biodiversité, comment penser et construire les villes ?