Les réflexions d’urbanisme n’envisagent que très rarement l’humain comme être vivant

Madame Nathalie Blanc (géographe, plasticienne, Directrice de recherche au CNRS et Directrice du Centre des Politiques de la Terre), s’est investie dans les questions d’écologie, au sens large, en pionnière. Ses réflexions et travaux de recherche ont démarré, il y a une trentaine d’années, par une étude sur les dynamiques de population des cafards dans la ville, considérée comme leur habitat naturel. Dès lors, elle a envisagé la ville comme un environnement bio-physico-chimique qui conditionne la vie et la santé de nombreuses espèces, dont l’espèce humaine.

Parcours et cheminement

Il y a un premier point qu’il faut saisir : je viens d’une famille extrêmement politisée, de communistes issus de l’immigration. Et la question environnementale m’est apparue très tôt, dès les années 1980–1990, comme la nouvelle question politique déterminante, universelle, universalisable. C’est déterminant dans mon parcours, c’est la raison pour laquelle je me suis éloignée des Beaux-Arts qui étaient, à l’époque, dans une doxa très plastique ou nombriliste. L’enseignement y était enfermé soit dans le geste de Clément Greenberg, white cube, très années 1950, soit revenait obsessionnellement sur le geste pictural… Il m’a semblé nécessaire de m’en éloigner.

Lors de mon cursus dans le périmètre des Beaux-Arts, j’avais fait mes classes en prêtant allégeance aux situationnistes qui étaient entre ville et arts, disons, et j’étais aussi très inspirée par les artistes de Fluxus, ouverts à l’imprévu, aux gestes formulés au hasard, et Joseph Beuys qui venait de participer à la fondation du Parti vert en Allemagne. J’étais au carrefour de ces influences et j’avais envie de m’engager utilement et durablement. J’ai d’abord travaillé dans une perspective esthétique assez détachée de la production d’objets pour les galeries, mais plutôt à tenter de déterminer un nouveau champ de vision au carrefour de la ville, de l’environnement, du geste esthétique. Une part de mon inspiration provenait du travail de Sigmund Freud qui, lui-même, a éclairé des choses invisibles, parmi lesquelles l’inconscient joueur. C’est cela qui m’a conduit à la géographie, une discipline scientifique au sein de laquelle j’ai tout de suite su que je pourrai inscrire mes intentions.

Mon travail de thèse sur les cafards était une façon de renverser la question de la nature en ville qui n’était saisie que par les espaces verts, mais aussi la question de l’animal qui n’était saisie que par l’animal de compagnie. Donc, il y avait un double renversement qui, sur le plan épistémologique, me semblait très intéressant. Il constituait, aussi, une mise en abîme de l’urbanisme dans son objet, qui est de maîtriser la nature pour fonder une ville. Le cafard expose l’inanité ou la vanité de cet exercice qui est toujours, en tout ou partie, un échec. Tout comme le sociologue Boaventura de Sousa Santos, qui a développé la sociologie des absences, j’ai acquis la conviction que c’est dans les creux que se devinent les pleins et les plans d’existence à explorer.

Cela rejoint le concept situationniste des trous positifs…

Tout à fait ! Le situationnisme s’ancre très fortement dans la géographie. Ce qui m’a plu aussi, c’est qu’elle est la plus naturaliste des sciences sociales. Mais je dois bien avouer que lorsque j’ai découvert la géographie comme discipline, j’ai été un peu troublée, parce qu’elle était loin de la matière que j’avais fantasmée, surtout à l’époque. Il y avait tant de silos entre les différents domaines, la géographie physique, humaine, régionale…, et il y avait des écoles, des obédiences…

Géographie physique et géographie vécue étaient entièrement séparées, si loin de l’intérêt que je développais pour l’analyse des sensations et sentiments vis‑à-vis de ce monde, de son écologie, en ville et ailleurs. De la même manière, quand j’ai commencé à travailler sur les villes et sur l’urbanisme, j’ai été perturbée par le fait que le vivant y était envisagé de manière extrêmement réductrice. Notamment du côté des « solutions fondées sur la nature », dont les conceptions sont très instrumentales quand elles ne sont pas réduites à du mobilier urbain, c’est‑à-dire une forme d’esthétique fonctionnelle.

🔎 Lire la suite de cette interview réalisé par Julien Meyrignac (Urbaniste – Rédacteur en chef de la Revue Urbanisme) dans le numéro 437 “Partout, le vivant! de la Revue Urbanisme.

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