Les villes, espaces des inégalités de genre

Ce thème a été retenu dans l’émission “Géographie à la carte animée par Quentin Lafay sur France Culture. La ville n’est pas un espace neutre. Surtout construite par et pour les hommes, on la traverse, l’arpente et l’occupe différemment selon notre genre. Des espaces de loisirs aux transports en commun, comment garantir une expérience urbaine plus égalitaire ?

Des liens entre ville et genre

Les villes, des espaces qui illustrent, structurent, reproduisent les inégalités entre les femmes et les hommes, les inégalités de genre, la hiérarchie des valeurs entre féminin et masculin. Car la ville est tout, sauf un espace neutre. Elle matérialise des rapports de pouvoir. Ainsi, selon notre genre, on l’envisage, on l’arpente, on la traverse d’une manière différente.

Selon que l’on est un homme ou une femme, on n’occupe pas de la même façon l’espace public, on n’a pas le même rapport aux transports, aux loisirs, au lieu de travail, aux services publics, à l’exercice de la citoyenneté.

En miroir, l’aménagement urbain, l’urbanisme, l’architecture, l’organisation sociale de la ville sont des leviers d’action pour favoriser l’égalité. Mais ils demeurent, très largement, parasités par des biais, conscients et inconscients.

Alors comment comprendre le lien entre la ville et le genre ? Comment le genre enrichit la géographie pour lire et comprendre la ville ? Comment favoriser et garantir un égal accès, et au-delà, une égale appropriation de la ville et de l’espace public ?

Pour en parler, voici les 3 invitées :

  • Marion Tillous, maîtresse de conférences en géographie à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, spécialiste du genre et des mobilités,
  • Édith Maruéjouls, maîtresse de conférences en géographie et directrice du bureau d’études L’ARObE (L’Atelier Recherche OBservatoire Egalité),
  • Marion Waller, urbaniste et philosophe de l’environnement.

Des expériences urbaines inégales

Les femmes et les hommes n’occupent pas de la même manière l’espace de la ville. Édith Maruéjouls revient sur ces inégales expériences, principalement structurées par le genre : “C’est la question de l’inégale liberté, c’est-à-dire que leur expérience à la fois individuelle et collective de l’espace public est une expérience de la contrainte, de la stratégie, de la charge mentale et, évidemment, de l’évitement des agressions et des violences“.

Un sentiment d’insécurité peut par exemple conduire les femmes à adapter leur parcours dans la ville, à développer des stratégies pour éviter de se retrouver seule dans certains endroits. Marion Waller, urbaniste, le raconte : “On se rend compte qu’il y a tout un tas de contraintes qui sont intériorisées. Les femmes vont parfois se dire : je ne vais pas à tel endroit parce que je ne me sens pas en sécurité. C’est une carte mentale qui se crée où il y a des endroits qui sont associés à un sentiment de sécurité, d’autres non“.

Si la géographie a longtemps été aveugle aux questions de genre, l’attention à ces inégalités permet de mieux étudier nos différentes manières d’occuper l’espace. Marion Tillous souligne ces apports : “Par exemple, on a des enquêtes de mobilité qui sont intéressantes et qui permettent d’envisager de manière quantitative les conséquences du harcèlement sur les pratiques spatiales. La géographie, ça peut être aussi des échelles beaucoup plus micro, c’est-à-dire, par exemple, observer une place et regarder qui se trouve à quel endroit”.

Des villes plus inclusives

L’urbanisme peut prendre en compte les biais qui conduisent à créer des espaces moins accueillants pour les femmes. Pour Marion Waller, il est important de diversifier les équipes en charge de ces décisions : “Il est important aussi de donner leur chance à des urbanistes et des architectes femmes pour exprimer différentes visions de la ville, différentes visions de l’espace public”.

Édith Maruéjouls souligne également l’importance de s’appuyer sur des expert·es, des personnes qui travaillent au quotidien sur des projets d’urbanisme attentifs aux questions de genre : “C’est aussi la question centrale de la déconstruction d’un système, c’est-à-dire comment on prend en compte des politiques égalitaires. On construit une expertise avec des personnes qui travaillent, par exemple sur la question des mobilités, qui conçoivent, qui ont une expertise au quotidien, sur cette question-là“.

Pour offrir des espaces plus sécurisés, une solution envisageable est celle d’espaces en non-mixité. Dans plusieurs villes étudiées par Marion Tillous, des rames de métro réservées aux femmes ont été déployées, même si cette solution présente également des inconvénients : “Des rames réservées aux femmes ont été déployées dans des aires culturelles tout à fait différentes. Elles existent dès le début du métro. On en a eu à Londres, on en a eu à New-York en 1909, à Tokyo dès 1912 et aujourd’hui, elles existent au Brésil et Caire, où je les ai étudiées“.

© Getty – Ruben Earth

 

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